On connaît le drone de combat, le drone civil, voici maintenant le "drone journalisme". Vraie révolution ou simple phénomène de mode ? Réunis au Global Editors Network à Paris, des journalistes du monde entier ont débattu.
Offrir un point de vue inédit sur l’actualité, c’est ce que revendiquent les adeptes du drone en reportage. Et c’est vrai que les situations vues d’en haut prennent soudain une autre dimension. Imaginez l’éruption d’un volcan, une inondation ou bien une manifestation filmés depuis le ciel : du jamais vu ! Un militant turc a d’ailleurs utilisé un drone pour filmer les rassemblements sur la Place Taksim à Istanbul… Les images sont fascinantes mais l’engin a été abattu par la police.
Dans les rêves les plus fous des journalistes, utiliser un drone pourrait permettre de survoler des zones interdites aux médias. En Australie, la chaîne Channel 9 avait ainsi survolé en 2011 l’île Christmas, où sont détenus des immigrés en situation irrégulière, alors qu’elle n’avait pas obtenu d’autorisation de tournage. Le drone permettrait aussi de filmer des zones dangereuses - comme des pays en guerre - en préservant la sécurité du reporter. Mais la technologie ne permet pas encore une réelle liberté (distance de vol, durée de vie des batteries).
"10 % journaliste, 30 % vidéo, 60 % pilotage"
Cependant, le "drone journalisme" a d’autres atouts dans sa manche. D’abord, le coût. Il revient bien moins cher d’acheter un drone civil destiné au grand public (dont le prix varie de 300 à plusieurs milliers d’euros) que de louer un hélicoptère et son pilote. Le côté écologique séduit également : "Un hélicoptère consomme 220 litres de carburant par heure ! Le drone, lui, a un petit moteur électrique", vante ainsi Guy Pelham de BBC News.
Mais attention aux contraintes. La première est le pilotage de l’engin. À ABC, la chaîne publique australienne, un pilote a été recruté pour travailler en tandem avec le journaliste. À "L’Express", lors du projet "Drone it" grâce auquel des expériences ont été menées en France par 5 équipes pendant 3 mois, 4 drones ont été cassé et un seul a pu être réparé. "10 % journaliste, 30 % vidéo, 60 % pilotage", résume Raphaël Labbé, directeur de l’innovation à L’Express-Roularta.
Autre point, la qualité des images. Les caméras embarquées, même si elles sont HD, ne sont pas stabilisées et vibrent au rythme du drone. On oublie donc l’image "broadcast" diffusable à la télévision, en revanche les sites web peuvent utiliser de telles vidéos.
L’Australie fait figure de pionnière avec une législation datant de 2002. En France, l'utilisation des drones civils est encadrée par l'arrêté du 11 avril 2012 (PDF). "Par exemple, le pilote du drone doit avoir suivi une formation spécifique, et il faut une autorisation de vol à partir du moment où ce n’est pas du loisir", détaille Frédéric Durand, fondateur de Helibird,société qui filme pour la télévision, le cinéma ou le documentaire. Le défi de demain sera d’harmoniser les lois au niveau européen voire mondial.
Car l’utilisation de ces engins à des fins journalistiques pose aussi un problème de respect de la vie privée et de protection des données personnelles. Du survol de propriétés privées ou de foules à l’espionnage de stars par des paparazzis, le champ des frictions est immense. Sans parler du danger lié aux crashs.
Devenir "dronaliste"
Aux Etats-Unis, deux universités enseignent le maniement des drones à leurs étudiants en journalisme. Gary Kebbel, professeur à l’université du Nebraska – où a été fondé fin 2011 le Drone Journalism Lab - pense que le drone est un vrai plus pour l’info locale : "On a fait nos premiers reportages sur la sécheresse au Nebraska - on est monté à 120 mètres d’altitude, la limite légale. Un journal local peut montrer ainsi un autre point de vue sur une actualité facilement et rapidement".
La sécheresse au Nebraska vue d'un drone
À Paris, la rédaction du site de "L’Express" compte poursuivre l’expérience : "Nous allons acheter un DJI Phantom, et les journalistes filmeront dès cet été des images qui seront mises en ligne, sur des événements comme des concerts", explique Raphaël Labbé, directeur de l’innovation à L’Express-Roularta. France Télévisions innovera aussi cet été en utilisant des drones pour suivre le Tour de France. Alors à quand des "dronalistes" dans les rédactions ?