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Le Brésil a mal à son modèle économique

Derrière les slogans, brandis par les manifestants brésiliens, condamnant les prix des tickets de bus et le coût de la Coupe du monde 2014, les classes moyenne et pauvre fustigent une hausse du coût de la vie et des services publics défaillants.

Au Brésil, les manifestants ne décolèrent pas. Ils étaient encore 50 000 dans les rues de Sao Paulo, mardi 18 juin au soir, pour exprimer leur colère contre le gouvernement. La présidente brésilienne, Dilma Rousseff, a joué la carte de l’apaisement en assurant “être à l’écoute” des aspirations d’un pays en pleine ébullition sociale, après la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de personnes pendant près de 10 jours. Mais derrière les belles paroles du chef d’État, certains commencent à trouver le temps long et regrettent que les autorités n’aient encore rien proposé de concret. “Le gouvernement ne sait pas quoi dire, il n'a pas de plan B”, témoigne un manifestant, interrogé mardi sur la chaîne Globo News.

Cette absence de solution rapide s’explique en partie par la nature des revendications des manifestants. La dénonciation de la hausse des tickets de bus et la colère contre le prix à payer pour organiser la Coupe du monde de football en 2014 mettent en lumière des dysfonctionnements du modèle économique actuel du Brésil.

Spirale inflationniste

La hausse récente de 0,20 real (0,06 euros) du prix du ticket de bus est ainsi symptomatique d’une inflation qui crève les plafonds depuis plusieurs mois. “Actuellement, les prix augmentent à un rythme supérieur à 6% par mois ce qui est bien au-delà de l’objectif d’inflation à 4,5% que s’était fixé le gouvernement”, précise Christine Rifflart, économiste spécialiste de l’Amérique latine à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), contactée par FRANCE 24.

Cette hausse des tarifs du transport public intervient dans un contexte d’augmentation généralisée du coût de la vie au Brésil. Le prix de produits aussi basiques que les tomates a ainsi flambé de 90% en un an. Les loyers ont aussi explosé ces dernières années - 120% en moyenne depuis 2008 - rendant les fins de mois de plus en plus difficiles pour des millions de Brésiliens. “Cette inflation est essentiellement due à l’augmentation des salaires”, souligne Christine Rifflart. Mais du coup, la paupérisation des personnes les plus en difficulté, celles qui n’ont pas vu leurs rémunérations augmenter, s’accroît.

De quoi rappeler à cette frange la plus défavorisée de la population que “le Brésil reste l’un des pays les plus inégalitaires du monde en ce qui concerne aussi bien les revenus que la consommation ou l'accès aux services sociaux”, note Jérémie Gignoux, économiste à l’École d’économie de Paris, contacté par FRANCE 24. Si, depuis une décennie, le gouvernement a réussi à faire baisser significativement le taux de pauvreté dans le pays, qui est passé de 34% à 22% de la population brésilienne entre 2004 et 2009, il a du mal, aujourd’hui, à s’extirper de la spirale inflationniste.

L’État est en effet coincé entre deux priorités. L’exigence de lutter contre l’inflation se marie en effet difficilement avec la nécessité de relancer une économie qui marque le pas. La croissance de la septième économie au monde “n’a été que de 0,9% en 2012, essentiellement à cause de faibles exportations”, rappelle Christine Rifflart. Pour relancer la vente de produits brésiliens à l’étranger, le gouvernement pourrait dévaluer le real afin de rendre moins chères les exportations, mais cela aurait pour effet d’accentuer l’inflation.

Pilule amère de la Coupe du monde de football

Mais ce ne sont pas que les plus pauvres qui manifestent dans la rue contre la vie chère. “Les étudiants et les nouvelles classes moyennes participent également au mouvement de protestation, ce qui en fait un mouvement social qui sort de l’ordinaire”, remarque Christine Rifflart. Pour ces nouvelles classes moyennes, les dépenses liées à l’accueil de la Coupe du monde de football en 2014 passent mal. “Ils estiment indécent le fait de dépenser entre 11 et 15 milliards de dollars [entre 8 et 11,2 milliards d'euros, NDLR] pour organiser cet événement sportif alors que les services publics et les infrastructures nécessitent de forts investissements”, explique l'économiste.

Le gouvernement se trouve donc face à des classes moyennes qui aspirent à avoir des services publics à la hauteur de leur nouveau statut social. “C’est le prix à payer de la croissance qui a permis, ces dernières années, à 30 millions de Brésiliens de sortir de la grande pauvreté pour intégrer la classe moyenne”, remarque Stéphane Witkowski, président du conseil de gestion de l'Institut des hautes études d'Amérique latine, interrogé par "Le Figaro".

Ainsi, comme le rappelle Christine Rifflart, “la qualité de l'éducation proposée au plus grand nombre reste très faible” et, de fait, les meilleures écoles sont encore largement réservées à ceux qui peuvent en payer les droits d’entrée : les plus riches. L’offre de soins laisse également à désirer, à en croire les manifestants qui crient des slogans comme “Nous ne voulons pas que du ballon rond mais aussi des hôpitaux”.

Les autorités brésiliennes ont planifié la rénovation des services publics. Mais ces projets mettent du temps à se concrétiser. Et, visiblement, les manifestants semblent ne plus vouloir attendre.