![Quand Radio-Canada devient "ICI", ça grogne là-bas Quand Radio-Canada devient "ICI", ça grogne là-bas](/data/posts/2022/07/18/1658143859_Quand-Radio-Canada-devient-ICI-ca-grogne-la-bas.jpg)
Les services francophones de Radio-Canada seront bientôt identifiés sous le nom "ICI". Après 77 ans d'existence, ce changement d'identité provoque au Québec un tollé auprès du public, notamment sur les réseaux sociaux, et des employés.
“Une drôle de décision !”, “Une grosse erreur”, “Le comble de la stupidité”, "Du gaspillage d’argent". Sur Facebook, les commentaires négatifs pleuvent depuis l’annonce, le 5 juin, du changement de nom de Radio-Canada. Après près de 77 ans d’existence, les services en français du groupe audiovisuel public canadien s’appelleront désormais "ICI" dès l'automne. La Première Chaîne de télévision se transforme par exemple en ICI Télé, tandis que le site Internet radio-canada.ca devient ici.ca.
La direction du réseau d’information francophone a choisi ce nom en référence au célèbre jingle du groupe "Ici, radio-canada", prononcé traditionnellement par les présentateurs à l'antenne. Il a pour but d’unifier les 29 services offerts sur ses différents médias : radio, télévision ou Internet. "C'est une annonce importante, car cela permet de regrouper l'ensemble de nos plateformes sous un vocable unique, le fameux mot " ICI ", et de nous distinguer dans un marché de plus en plus éparpillé", a ainsi expliqué Louis Lalande, le vice-président des Services français, dans un communiqué.
Soupçons de vélléités indépendantistes
Mais du côté des téléspectateurs et auditeurs, ce bouleversement passe mal. Depuis cette décision surprise, c’est une véritable levée de boucliers sur les réseaux sociaux. Les internautes se demandent, non sans humour, comment les journalistes vont pouvoir expliquer dans leur direct qu’ils "sont ici, pour ICI". Le public s’émeut surtout d’une perte d’identité et d’un piétinement de l’histoire. "Il faut faire jeune : hip, hop, saute bouge. Rapide, fébrile, futile. Se créer une identification sans passé", se désole ainsi l’éditorialiste Josée Boileau dans le journal "Le Devoir". "Dire 'Ici' pour cacher Radio-Canada, c’est du botox médiatique".
Dans "La Presse", la chroniqueuse Nathalie Petrowski critique aussi cette tentative de rajeunissement de la chaîne : "Mais à quoi ont-ils donc pensé ? Qu’on pouvait d’un trait réduire en miettes 75 ans d’histoire et recommencer à neuf comme si de rien n’était avec un logo qui, dans le meilleur des cas, rime avec Pepsi ?"
Du côté des politiques, ce coup de communication est aussi mal perçu. Le ministre canadien du Patrimoine, James Moore, déplore l’effacement du terme de Canada. "J’ai dit aujourd’hui à Hubert Lacroix, le président de la SRC (NDLR : la Société de Radio-Canada), que les contribuables canadiens vont soutenir un radiodiffuseur public si et seulement si ce dernier est canadien dans son contenu, dans son appellation, et ce dans les deux langues officielles et dans toutes les régions du pays", a-t-il réagi lors de la période de questions au Parlement. Du côté anglophone, certains perçoivent même dans cette décision le symbole des velléités indépendantistes du Québec. "Le National Post" de Toronto rappelle que le Parti québécois a été fondé en 1968 par René Lévesque, un des journalistes emblématiques du groupe audiovisuel. "Radio-Canada a depuis longtemps la réputation d'être un nid de séparatistes et ce changement de nom ne peut que renforcer l'impression que c'est tout aussi le cas dans les bureaux des directeurs", estime ainsi Kelly McParland, un éditorialiste de ce journal anglophone.
Un changement à 400 000 dollars
Mais c’est en interne que la pilule a peut-être le plus de mal à passer. Les syndicats de Radio-Canada sont montés rapidement au créneau pour dénoncer la facture de cette opération. Alors que Radio-Canada a remercié 1 400 employés ces cinq dernières années et que ses crédits budgétaires ont été réduits de 400 millions de dollars, le changement de nom a coûté 400 000 dollars.
"Un relookage à 400 000 dollars pour une institution de 77 ans qui est reconnue et admirée par tous. C'est ce qu'on appelle de l'argent gaspillé. Je suis certaine que le public aurait préféré voir son argent à l'écran ou l'entendre sur les ondes de radio", a ainsi réagi Isabelle Doyon, une des représentantes syndicales.
Face à ce tollé, le vice-président de Radio-Canada a précisé que le montant de "400 000 dollars consenti à deux firmes externes qui ont travaillé à ce projet" est "raisonnable". Malgré cette tentative d’explications, les Québécois ne sont pas décidés à adopter de si tôt ce nouveau nom. Comme le résume le chroniqueur Stéphane Laporte, "Personne ne regardera ICI télé, tout le monde continuera de regarder Radio-Canada. Ça fait partie de nous".