
Après plusieurs semaines d’intenses combats, le régime syrien est parvenu à reprendre le contrôle de Qousseir, bastion des rebelles. Une victoire cruciale pour le camp Assad. Eclairage avec Frédéric Pichon, historien spécialiste de la Syrie.
Au terme d’une offensive d’ampleur lancée le 19 mai, le régime syrien a repris, avec l’aide du Hezbollah libanais, la ville frontalière de Qousseir (Ouest), bastion des rebelles depuis plus de 18 mois. Une victoire de taille pour Bachar al-Assad.
Située dans la province centrale de Homs, la région de Qousseir est hautement stratégique pour le régime car elle relie la capitale, Damas, au littoral. Pour les rebelles, son importance était tout aussi cruciale puisqu'ils y recevaient des renforts en hommes et en armes via la frontière libanaise. Selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), c’est toute la région de Homs qui repasse sous le contrôle du régime avec la prise de Qousseir.
La conférence de paix sur la Syrie, dite "Genève II", n'aura pas lieu avant le mois de juillet, toutes les questions sur son organisation n'ayant pas encore été résolues, a déclaré mercredi le vice-ministre russe des Affaires étrangères Guennadi Gatilov, cité par l'agence de presse Interfax.
"La question la plus délicate touche au cercle des participants à la conférence. L'opposition syrienne, contrairement au gouvernement [de Damas], n'a pas pris de décision sur la question de sa participation à cette conférence", a-t-il expliqué.
AFP
Ce développement sur le terrain intervient au moment où l'ONU, la Russie et les États-Unis tentent d'organiser à Genève une conférence de paix internationale sur la Syrie. Frédéric Pichon, historien et spécialiste de la Syrie, tire pour FRANCE 24 les conséquences de la chute de Qousseir.
FRANCE 24 : Peut-on dire que la chute de Qousseir constitue un tournant dans le conflit syrien ?
Frédéric Pichon : Il s’agit certainement d’un tournant. Plus encore que l’avait été déjà la chute du quartier de Baba Amr à Homs en février 2012, car, cette fois, ce n’est pas uniquement important symboliquement. Qousseir est située sur un axe vital pour le régime qui relie Damas, au littoral, la région alaouite. Mais c’est aussi, et surtout, un coup d’arrêt porté à l’afflux d’armes et de combattants en Syrie via la frontière libanaise. La principale conséquence, c’est qu’Assad sort grandi de cette bataille. C’est du pain béni pour lui en vue de la conférence de Genève. Cela fait plusieurs semaines qu’il est en position de force pour négocier, il l'est d’autant plus aujourd'hui.
F24 : Qu’est-ce que la perte de Qousseir signifie pour la rébellion ?
F. P. : De cette bataille, la rébellion sort défaite. C’est un coup dur sur le plan humain, mais aussi symboliquement. La perte de Qousseir montre une nouvelle fois que les rebelles n’ont pas de stratégie de front, vu qu’ils n’ont pas de direction unifiée et cela les affaiblit sur le terrain, mais aussi aux yeux de leurs soutiens. Si les choses restent en l’état, c'est-à-dire à moins que les rebelles ne reçoivent des armes de façon significative ou que la conférence de Genève ne débouche sur aucune réelle solution, je pense que petit à petit l’armée loyaliste va finir par reprendre le contrôle de tous les bastions rebelles. Cela sera probablement très long.
F24 : Que peut-on attendre de la conférence de paix qui doit se tenir à Genève ?
F. P. : La question sur des livraisons d’armes de l’Union européenne, dont l’embargo a été levé récemment, et la querelle sur les armes chimiques sont autant de contre-feux, qui montrent bien l’impuissance des pays occidentaux. De toute façon, ce sont les États-Unis et la Russie qui sont à la manœuvre. Depuis plusieurs semaines, Washington a compris qu’il fallait s’asseoir à la table des négociations avec le régime et travailler avec les Russes. La France essaie d’exister dans ce dossier car elle sait qu’elle a perdu la main. Comme prévu, le régime syrien se montre solide et a répondu plutôt rapidement sur les personnes qu’il allait envoyer en Suisse.
Ironie de la situation, sur la liste figure un ancien opposant, Qadri Jamil, aujourd’hui membre du gouvernement. Ce dernier est de surcroît russophone, ce qui en fait un excellent choix pour négocier. C’est en face que le problème se pose, car l’opposition ne fait toujours pas front uni et on ignore si la Coalition finira par se rendre à la conférence de Genève sous la pression des États-Unis. Le fait que le commandement de l’Armée syrienne libre se soit retiré de la Coalition est catastrophique pour les opposants.
F24 : Maintenant qu’il a récupéré Qousseir, dont il a vraiment fait un emblème, quelle va être désormais la stratégie du régime ?
F. P. : Le régime ne s’en cache pas, il va maintenant se diriger vers Alep [Nord-Ouest] dans le but de la reconquérir et de relancer le poumon économique du pays. Mais cela risque de prendre bien plus de temps que Qousseir, au vu de l’ampleur de la région et de la proximité de la frontière turque aux mains des rebelles.