
Samedi 1er juin, le dirigeant du Conseil de la Cyrénaïque a proclamé l’autonomie de cette région riche en pétrole de l’est de la Libye. Jason Pack, spécialiste de la Libye, ne croit cependant pas au retour du système fédéral dans le pays.
Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées, samedi 1er juin, dans la ville d’Al-Marj, dans l’est de la Libye. Ils célébraient la proclamation de l’autonomie de la Cyrénaïque, province riche en pétrole de l’est de la Libye d’où est partie la révolte de 2011 qui a abouti au départ de Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 1969.
La décision a été prise par Ahmed Zubeir al-Senoussi, le dirigeant d’un groupe politique fédéraliste : le Conseil de la Cyrénaïque. Sa volonté : réactiver la Constitution de 1951, qui assurait un partage des pouvoirs entre Tripoli et Benghazi, capitale provinciale, et créer un Parlement ainsi qu'une force de sécurité autonomes.
À Tripoli, le Congrès général national (CGN), qui fait office de Parlement, a décidé de former une commission pour examiner la déclaration de Senoussi.
Entretien avec Jason Pack, chercheur en histoire de la Libye à l'université de Cambridge, président de Libya-Analysis.com et éditeur de "The 2011 Libyan Uprisings and the Struggle for the Post-qadhafi Future", à paraître chez Palgrave Macmillan.
Comment analysez-vous cette proclamation d'autonomie ?
Le gouvernement central est faible et de nombreuses milices ne veulent pas se plier à son autorité. Mais je ne pense pas que toute la Cyrénaïque souhaite l’autonomie de la région. La décision du Conseil de la Cyrénaïque est émotionnelle, et non rationnelle.
Les milliers de personnes qui ont salué cette décision ne comprennent pas les implications, notamment économiques, d’une éventuelle autonomie de la Cyrénaïque. Les habitants de la Cyrénaïque pensent juste qu’ils vont avoir plus de poids sur les institutions fédérales.
La proclamation, samedi, de l’autonomie de la Cyrénaïque est venue d’Ahmed Zubair al-Senoussi. Qui est cet homme et quels poids politique et militaire donner à son groupe politique fédéraliste, le Conseil de la Cyrénaïque ?
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies poussent pour la création d’un État fédéral en Libye. Il est proclamé en 1951, se nomme Royaume-Uni de Libye, et se compose de trois provinces : la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan. Un roi dirige le pays : Idris Ier. Mais en 1956, la découverte du pétrole - et son exportation à partir de 1959 – bouleverse l’économie du pays et provoque de fortes tensions sociales du fait de la hausse des prix résultant de l’afflux de nouveaux revenus. La structure fédérale et ses taxes ne conviennent alors plus à la croissance du pays. En 1963, une révision constitutionnelle met fin à la forme fédérale du pays qui adopte une subdivision en dix gouvernorats.
Ahmed Zubair al-Senoussi est le petit-neveu d’Idris Ier, roi de Libye de 1951 à 1969. Il a passé 31 ans en prison [de 1970 à 2001] pour avoir tenté de renverser Mouammar Kadhafi. Membre du Conseil national de transition en charge des prisonniers politiques, il a été démis de ses fonctions pour avoir rejoint le Conseil de transition de Cyrénaïque le 6 mars 2012. Le groupe a changé de nom et s’appelle maintenant Conseil de la Cyrénaïque, Ahmed Zubair al-Senoussi en est le président.
Lui et ses partisans veulent le retour à la situation des années 1951-1963 lorsque la Cyrénaïque était l’un des trois États du Royaume-Uni de Libye, avec le Fezzan et la Tripolitaine [voir encadré ci-contre].
Certes, Ahmed Zubair al-Senoussi est de la famille de l’ancien roi mais il ne faut pas voir là une raison de son appel à l'autonomie. Il n'a aucun mandat officiel et on voit mal comment il compte mettre cette décision en oeuvre sur le terrain. De plus, ses années en prison l’ont coupé d’une partie des réalités du pays.
Ces derniers mois, les milices se sont montrées très présentes : siège de ministères à Tripoli, prise de l’aéroport de Sebha, etc. Pourrait-il y avoir partition de la Libye ?
La Libye est composée de Berbères et d’Arabes à 97 % qui sont quasi exclusivement des musulmans sunnites. Ce n’est ni l’Afghanistan, avec ses nombreux groupes ethniques, ni l’Irak, où s’affrontent chiites et sunnites, encore moins le Soudan où le Nord musulman d’Omar el-Béchir s’en prenait délibérément au Sud animiste et chrétien.
Si le fédéralisme devait réapparaître en Libye, c'est que la Commission constituante l'aura décidé, et sans doute pas une sécession. Une telle décision serait inefficace car il faudrait créer de nouvelles structures administratives dans chaque État. De plus, le pays est encore en train de se développer : on construit des hôpitaux, des pipelines pour le pétrole et l'eau traversent déjà tout le pays. Pour que le développement du pays se fasse de façon cohérente, il faut un exécutif fort et centralisé. Rétablir des frontières internes et des administrations supplémentaires multiplierait les possibilités de corruption. C’est là toute la complexité d’une économie dépendante des ressources naturelles.