![Reportage place Taksim : "Défendre l'héritage d'Ataturk" Reportage place Taksim : "Défendre l'héritage d'Ataturk"](/data/posts/2022/07/18/1658143219_Reportage-place-Taksim-Defendre-l-heritage-d-Ataturk.jpg)
Place Taksim à Istanbul, les manifestants accusent le gouvernement islamo-conservateur d’Erdogan de vouloir islamiser la société et affirment vouloir protéger la Turquie laïque et démocratique fondée par Ataturk. Reportage.
Plus de cinq jours après le début du mouvement de révolte en Turquie, la mobilisation ne faiblit pas. Étudiants, féministes, ouvriers et cadres convergent chaque jour place Taksim. De tous bords politiques, ils viennent protester contre les principes islamiques conservateurs du gouvernement Recep Tayyip Erdogan. Les reporters de FRANCE 24 Matthieu Mabin et Catherine Norris-Trent sont allés à leur rencontre.
"En ce moment, vous voyez ici des centaines de milliers de personnes qui ont soif de liberté", confie une manifestante, assise en tailleur à même le sol sur cette place symbolique d’Istanbul. "Toutes sensibilités confondues, les gens s’insurgent contre la dictature et tentent de faire entendre leurs voix, pas seulement en Turquie mais aussi au monde entier", explique-t-elle.
Comme elle, les femmes sont nombreuses dans les manifestations. La promotion du foulard islamique ou la nouvelle loi sur l'avortement sont pour elles le signe que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, issu du parti islamiste modéré AKP (Parti de la Justice et du Développement), a l'intention de remettre en cause les droits des femmes et de les renvoyer à leur rôle traditionnel de mère au foyer.
Préserver l’héritage laïque d’Ataturk contre l’islam conservateur d’Erdogan
Même les supporters de football se sont joints au mouvement. Tous n’ont qu’un mot d’ordre, dont ils recouvrent les murs : "Turquie, révolte-toi !". Sur la place Taksim, fleurissent désormais les drapeaux rouges, et les bouteilles de bière défient les lois anti-alcool. "Ce n’est pas qu’une question d’alcool", explique toutefois un manifestant une bouteille à la main. "Il s’agit de toutes ces pressions exercées sur nous : toutes ses lois anti-démocratiques", poursuit-il.
Car c’est bien de la défense des libertés qu’il s’agit : aux côtés des drapeaux turcs se multiplient également dans les rassemblement les portraits de Mustafa Kemal Ataturk, qui fonda en 1923 la République turque laïque sur les ruines de l'Empire ottoman. Et si Recep Tayyip Erdogan est populaire dans les régions conservatrices d'Anatolie, il est précisément considéré par une partie de la population des grandes villes comme une menace pour l'héritage d’Ataturk.
Musulman pratiquant, le Premier ministre assure, pour sa part, n'avoir aucune intention de réislamiser la Turquie. Il a, par exemple, expliqué que la nouvelle loi restrictive sur la vente d'alcool, autre source d'inquiétude pour la classe moyenne libérale, répondait uniquement à des impératifs de santé publique, et non à des préceptes religieux.
Les premiers manifestants ont investi le parc Gezi le 31 mai dernier pour empêcher la construction à sa place de la réplique d'une caserne militaire de l'Empire ottoman, qui doit accueillir un centre culturel, un centre commercial ainsi qu’une mosquée. Petit à petit, la mobilisation pour le parc s’est muée en mouvement de contestation contre le Premier ministre Erdogan que les manifestants accusent de vouloir islamiser la société. Le symbole est d'autant plus fort que le parc Gezi est situé en bordure de la place Taksim, qui pendant des décennies a été le lieu d'expression de toutes les luttes sociales.