
Une lettre d'Alfred Dreyfus, adressée au ministre de l'Intérieur le 26 janvier 1895, a été adjugée mercredi 380 000 euros par la maison d'enchères Sotheby's à Paris. La vente de ce document était critiquée par les héritiers du capitaine.
Une lettre rédigée par le célèbre capitaine Dreyfus a été adjugée à 380 000 euros - 457 000 euros en comptant les frais -, mercredi 29 mai, à un acheteur au téléphone, lors d’une vente aux enchères de la maison Sotheby's à Paris. Un prix largement supérieur à l’estimation initiale de l’œuvre, fixée entre 100 000 et 150 000 euros. Cette vente s’est tenue malgré l’opposition ferme des héritiers de l’homme à l’origine de l’affaire qui divisa la France en deux.
"J’ai été condamné pour le crime le plus infâme qu’un soldat puisse commettre et je suis innocent," clamait Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison, dès les premiers mots de la lettre adressée le 26 janvier 1895 au ministre de l’Intérieur de l’époque. Un mois seulement après sa condamnation, il était à l’époque détenu sur l’île de Ré, dans l'attente de sa déportation à l'île du Diable en Guyane. "Je viens vous demander, monsieur le ministre, ni grâce ni pitié mais justice seulement. […] Au nom de mon honneur de soldat qu’on m’a arraché, au nom de ma malheureuse femme, au nom enfin de mes pauvres enfants, je viens vous supplier de faire poursuivre les recherches pour découvrir le véritable coupable."
Pas un objet de spéculation
Cent dix-huit ans plus tard, la question de l’avenir de ce document historique, véritable préambule au futur combat des dreyfusards, faisait jusqu’à son rachat mercredi l’objet d’une polémique. Selon le petit-fils d’Alfred Dreyfus, Charles Dreyfus, la place de cette lettre rédigée dans les tout premiers jours de l’affaire et restée sans réponse se trouvait en effet aux Archives nationales. Car, pour l’héritier, les témoignages du passé ne sont pas un objet de spéculation. Il aurait donc été, selon lui, préférable que l’ancien propriétaire, qui a souhaité garder l’anonymat, en fasse don à des institutions telles que la Bibliothèque nationale de France ou le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, afin de soutenir la "jurisprudence des héritiers du capitaine Dreyfus".
De son côté, la société Sotheby’s, organisatrice des enchères, s’était défendue en affirmant "que cette lettre [avait] fait l’objet d’une première cession onéreuse par la famille du capitaine Dreyfus", avant d’être rachetée en 1996. Selon la société, l’ex-propriétaire avait également pris soin il y a plusieurs mois de rencontrer Charles Dreyfus, qui n’avait alors "ni remis en cause cette provenance ni réclamé ladite lettre".