Le Parlement turc a une nouvelle fois restreint la consommation d’alcool en interdisant la vente de boissons alcoolisées entre 22 heures et 6 heures. De nouvelles mesures destinées à "former une génération saine", selon le Premier ministre Erdogan.
Alors que le Parlement turc a voté vendredi dernier de nouvelles mesures contrôlant l’accès à l’alcool, les quotidiens "Hurriyet" et "Milliyet" ont fait un pied de nez au gouvernement, lundi 27 mai, en publiant en pleine page une publicité pour le raki, un alcool traditionnel de Turquie. Sous forme de poème, la marque Yeni Raki se moque de la décision prise par le Parlement d’interdire la publicité et la vente de boissons alcoolisées entre 22 heures et 6 heures.
Selon la nouvelle législation, les fabricants d’alcool devront également inscrire sur leurs emballages des avertissements, à la manière des paquets de cigarettes, concernant les risques pour la santé. Une distance réglementaire de 100 mètres au moins a par ailleurs été instaurée entre un débit de boissons et un lieu de culte ou un établissement scolaire. Une mesure dont les sites touristiques sont exemptés.
Ce tour de vis est jugé inquiétant par les laïcs qui voient dans cette décision une preuve de l’islamisation de la politique du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis plus de dix ans. Cependant, ce renforcement apparaît peu étonnant, eu égard au désamour affiché par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan envers l’alcool, responsable des maux de la société selon lui.
"Protéger la jeunesse des mauvaises habitudes"
Depuis 2002, le chef de gouvernement a mis au point une série de mesures anti-alcool, taxant notamment à plus de 100 % les boissons mises en cause. "De telles législations existent partout dans le monde", s’est-il justifié à la suite du renforcement de la loi. "Il faut protéger la jeunesse de la nation des mauvaises habitudes. […] Nous ne voulons pas d'une génération qui titube jour et nuit sous l'emprise de l'alcool."
Agissant, selon lui, pour la santé de son peuple, Recep Tayyip Erdogan a même entrepris de marquer les esprits en érigeant au rang de symbole national une boisson dépourvue de substance alcoolisée. "Dans les premières années de la République, une boisson alcoolisée comme la bière a malheureusement été présentée comme une boisson populaire turque. Mais notre boisson nationale, c'est l'ayran", a-t-il proclamé vendredi 24 mai à Istanbul, en référence à un breuvage fait à base de yaourt fermenté. Une stratégie qui lui aurait été suggérée par son grand-père dans le but de "former une génération saine".
Le raki d’Atatürk vs l’ayran d’Erdogan
Cette proclamation a été accueillie froidement par la population. Il faut dire que l’ayran a pour concurrent direct, outre la bière, le raki, un breuvage anisé rappelant l’ouzo grec ou le pastis français. L’association des producteurs d’alcool traditionnel turc avait d’ailleurs déjà demandé à l’Europe d’élever le raki au statut de boisson nationale. Le fondateur de l’empire turc, Atatürk lui-même, en raffolait.
"Il ne manquait plus que nous soyons déclarés traîtres à la nation parce que nous ne buvons pas d'ayran", s'est exclamé un utilisateur de Twitter à propos du rafraîchissement.
Par ailleurs, une enquête menée par l'institut national TurkStat a révélé que 85 % des habitants du pays ne buvaient pas d’alcool. Une étude qui vient contrecarrer le discours alarmiste d’Erdogan.