Un projet de loi fait grand bruit au Parlement afghan : il vise à confirmer des droits des femmes acquis depuis 2009 comme l’interdiction du mariage forcé. Des députés souhaitent au contraire un retour strict aux principes taliban.
La crainte des femmes afghanes se confirme : il leur est difficile de maintenir les droits acquis, obtenus à force de pressions internationales depuis dix ans. Un débat au Parlement sur le droit des femmes a tourné court samedi 18 mai. Les députés conservateurs se sont violemment opposés à un texte visant à ancrer dans la loi certaines mesures contre le mariage forcé et le crime d’honneur ou encore pour augmenter l’âge légal du mariage à 16 ans... Les débats ont été suspendus et aucune date de reprise n’a été fixée.
Ce texte existe déjà sous forme d'un décret intitulé "Élimination de la violence contre les femmes" et signé par le président Hamid Karzaï en 2009. À la veille des élections de 2014 et du retrait des troupes de l’Otan, des députés ont souhaité que ces droits soient validés par un vote au Parlement afin de s’assurer que ce décret ne sera pas remis en cause par le prochain président. Leurs efforts risquent d’être vains. "Malheureusement, il y a de nombreux conservateurs qui s’opposent à cette loi. Mais ce qui me déçoit, c’est qu’il y a aussi des femmes", se désole Fawzia Kofi, présidente de la commission des femmes au Parlement et candidate déclarée à l’élection présidentielle de 2014.
À la sortie du débat parlementaire, le député Mullah Tarakhai Mohammadi s’est publiquement élevé contre le projet de loi sur le droit des femmes et a menacé les députés qui voteraient pour. "Les éléments contraires à la charia doivent être enlevés du texte pour qu’il nous soit présenté de nouveau. Mais si les articles qui sont contraires à l’islam restent dans la loi, celui qui votera pour elle sortira de la communauté islamique, même si ce sont nos frères et sœurs", a-t-il déclaré devant les caméras de télévision. Une nouvelle mouture du texte est en cours de rédaction.
Code spécial pour les femmes chiites
Depuis 2001 et l’invasion du pays par les troupes de l’Otan, les femmes ont bénéficié d’avancées significatives. Elles ont le droit de voter, d’aller à l’école - près de 3 millions de filles ont ainsi accès à l’éducation -, d’exercer un métier ou encore d'intégrer la police. Des quotas réservent même 68 sièges au Parlement pour les femmes, soit un quart des parlementaires. Autre progrès significatif : l’ouverture de centres d’accueil pour épouses battues - il en existe quatre à Kaboul. Il était inenvisageable il y a encore dix ans qu’une épouse puisse quitter son mari sans subir de représailles.
Pour autant, ce décret n’est appliqué que dans les grandes agglomérations et dans dix provinces sur les 34 que compte l’Afghanistan, rapporte l’ONG Oxfam. En 2009 a également été proposé un Code de la famille qui prévoit des conditions de vie difficiles pour les femmes chiites : l'obligation de demander à son époux l’autorisation de sortir de la maison et la possibilité d'être privée de nourriture si la femme n’a pas rempli ses "devoirs", y compris sexuels. Hamid Karzaï a beau avoir fait amender le texte in extremis, certaines restrictions pour la communauté chiite ont été maintenues.
Sur l’autel de l’unité politique
Telles sont les contradictions de la société afghane et du président Karzaï lui-même, qui est plutôt favorable aux droits des femmes mais est davantage encore préoccupé par l’unification du pays et le dialogue avec les Taliban. Sa propre femme est une gynécologue qui ne se montre quasiment jamais en public. Et chaque Afghan garde en mémoire l’histoire de la reine Soraya, qui dans les années 1920 a beaucoup œuvré pour le droit des femmes (droit à l’éducation, droit de choisir son mari) et pour la réforme de la société afghane, ce qui a précipité la destitution de son mari, le roi Amir Amanullah Khan.
Même la communauté internationale, qui jusqu'alors avait fait pression pour améliorer le sort des femmes, est désormais plus intéressée par les discussions avec les Taliban, engagées en catimini et sous la protection des pays occidentaux.
Dans l’Afghanistan d’aujourd’hui, les femmes témoignent d’un retour de bâton. Les chiffres des violences contre les femmes ont atteint les niveaux enregistrés en 2007 - plus de 1000 cas en seulement trois mois, rapporte Oxfam. Les provinces rurales sont régulièrement le théâtre d’atrocités, comme le cas de cette femme accusée d’avoir fui son domicile conjugal et dont l’exécution publique a été filmée l’année dernière dans un petit village de la région de Parwan. Ou le cas de Bibi Aisha, dont le nez et les oreilles ont été coupés par son mari - un Taliban - dans la province d’Uruzgan, et qui a fait la une de l'hebdomadaire américain "Time" avec pour titre : "Ce qui arrivera si nous quittons l'Afghanistan". Le magazine a été vertement critiqué pour cette couverture.