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Visés par les Taliban, les candidats laïcs font campagne sur le Web

, envoyée spéciale à Karachi (Pakistan) – À quatre jours des législatives au Pakistan, le pays connaît des violences. Pris pour cible par les Taliban, les candidats des trois partis laïcs sont contraints, dans certaines zones, à mener une campagne souterraine et virtuelle.

C’est une salle digne d’un studio de télévision. Sur les murs, plus de 36 écrans diffusent en continu des émissions suivies frénétiquement par une équipe de 20 bénévoles. Nous ne sommes pas à la télévision mais à Karachi, dans le quartier général du Mouvement Muttahida Quami (MQM), le parti le plus puissant de la province du Sindh, dans le sud du Pakistan. Depuis trois mois, c’est l’un des endroits les plus menacés du pays : multipliant les attaques contre candidats et militants - plus de 40 morts depuis mars -, les Taliban ont juré la perte de ce parti qu’ils jugent anti islamique car laïc. Samedi dernier, deux bombes ont explosé à quelques centaines de mètres seulement de ses locaux. Elles ont fait deux morts et des dizaines de blessés. Le candidat Anees Qaim Khani, chef du MQM, en a réchappé de peu.

Depuis, les locaux du MQM, situés dans un quartier résidentiel de Karachi en apparence paisible, font l’objet d’une protection renforcée : pas moins d’une centaine d’hommes armés postés à des check-points et sur les toits contrôlent l’accès à cette zone baptisée "Nine Zero". Au Pakistan, à chaque élection ou presque, la politique fait couler le sang et la campagne qui s’achève le 11 mai prochain avec l’élection des 272 députés de l’Assemblée nationale, n’échappe pas à la règle. Depuis trois mois, plus de 90 candidats et militants pris pour cible par les Taliban parce qu’ils revendiquent des élections libres ont déjà perdus la vie dans des attentats.

"Minimiser nos apparitions tout en optimisant notre visibilité"

Pour ne pas connaître le même sort, les partis laïcs et leurs candidats du Parti du peuple pakistanais (PPP), du Parti national Awami (ANP) et du MQM ont dû adapter leur campagne et délaisser les grands rassemblements. Une première pour ces formations considérées comme des poids lourds de la politique pakistanaise. Alors ils se rattrapent sur Internet et les réseaux sociaux.

"On essaie de minimiser nos apparitions tout en optimisant notre visibilité grâce à Twitter et à Facebook", explique Faisal Sabzwari, destinataire régulier des menaces de mort distillées par les Taliban. Pour cela, le MQM a multiplié les effectifs de son équipe de communication. "Au début, nous avions 80 membres dans ce département et environ un millier de bénévoles répartis dans nos circonscriptions, poursuit Faisal Sabzwari. Mais, depuis deux mois, avec la recrudescence des violences, nous avons recruté près de 2 000 bénévoles supplémentaires."

Un dispositif important qui permet au parti d’être l’un des plus actifs sur les réseaux sociaux et d’assurer un roulement pour des missions de veille sur l’actualité. L’objectif : repérer, enregistrer et relayer toute émission ou propos faisant la promotion du parti ou de ses candidats. Une option, "plus économique que les spots publicitaires" et qui vaut au MQM d’avoir battu le record de tweets en une journée. "En avril, nous avons tweeté jusqu’à 19 000 messages par jour : c’est un record pour le Pakistan !", se réjouit Faisal.

Une campagne "assis derrière un ordinateur"

Au pouvoir depuis cinq ans, le PPP du président sortant Asif Ali Zardari, veuf de Bénazir Bhutto, est lui aussi contraint de faire profil bas. "Aux dernières élections, on organisait jusqu’à dix rassemblements publics par jour à Karachi, se souvient le sénateur Taj Haider, secrétaire général du PPP pour la province du Sindh. Aujourd’hui, pour faire campagne, on est assis derrière nos ordinateurs !"

C’est en effet par l’intermédiaire de spots télévisés ou d’e-mails que les candidats les plus menacés du PPP communiquent avec leurs électeurs et transmettent leurs instructions aux quelques milliers de militants répartis en cinq équipes rien que pour la province du Sindh. "Nous fournissons des publications et des modèles de prospectus à nos équipes qui se chargent ensuite de les imprimer et de les distribuer sur le terrain", poursuit Taj Haider.

La démocratie en jeu

Mais pour l’ANP, véritable bête noire des Taliban - 770 militants tués en cinq ans - en raison de son soutien aux opérations contre les insurgés dans les zones tribales, les campagnes souterraines ou numériques ne suffisent plus. "Depuis quelques mois, même nos militants en charge des appels téléphoniques sont attaqués, confie Bashir Jan, secrétaire général de l’ANP en montrant son bras bleui par les impacts de balles, certaines étant restées sous sa peau. Cela fait des années que nous fonctionnons sur le principe de meetings quasi secrets, de discours effectués par Skype et par téléphone, ou de campagnes conduites à notre place au porte à porte par nos militants."

Visé à quatre reprises par les Taliban, Bashir Jan n’a jamais renoncé à faire campagne. Jusqu’à cet attentat, la semaine dernière, contre sa voiture. "J’ai miraculeusement survécu mais 13 personnes sont mortes et 60 autres ont été blessées, s’émeut-il. Là, je me suis dit que la ligne rouge avait été franchie." Depuis, l’ANP a cessé de faire campagne dans trois des quatre provinces du pays. De bien mauvais augure pour la démocratie... "C’est mal parti pour des élections réellement libres et démocratiques, renchérit Faisal Sabzwari du MQM. Le prérequis pour cela aurait été que tous les partis puissent faire campagne de façon égale. Nous en sommes loin !"