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L'échange de prisonniers, seule contrepartie à la libération de la famille Moulin-Fournier ?

Ni rançon ni coup de force. Ce serait grâce à un échange de prisonniers que les sept otages français auraient été libérés. Mais Paris pourrait aussi, en contrepartie, faire preuve d'indulgence dans le dossier des biens mal acquis...

"Aucune rançon n'a été versée." Faut-il croire le président François Hollande lorsqu'il affirme que la libération dans la nuit du 18 au 19 avril des sept membres de la famille Moulin-Fournier, - retenus en captivité pendant deux mois par un groupe affilié à la secte Boko Haram - n'a pas donné lieu à une contrepartie financière ?

Pour Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique et ancien rédacteur en chef de "La Lettre du continent", la réponse est oui. "Nous sommes toujours polarisés sur les affaires de rançons, notamment parce qu'elles ont donné lieu à des échanges désagréables entre les États-Unis et la France [une ancienne ambassadrice américaine au Mali a révélé que Paris avait versé près de 13 millions d'euros pour la libération d'otages français au Sahel, NDLR], explique le journaliste. Mais l'échange de prisonniers semble bien avoir été l'élément principal pour cette libération."

Des échanges de détenus âprement négociés

Selon plusieurs sources concordantes, une dizaine de militants de la secte Boko Haram ont été libérés dans la nuit du 18 au 19 avril. Leur remise en liberté aurait eu lieu, selon une source camerounaise, aux environs de Kolofata, dans l'extrême nord du Cameroun, à la frontière avec le Nigeria. Cet échange de prisonniers était en effet la revendication principale des ravisseurs, membres de cette secte islamiste nigériane : dans deux vidéos diffusées sur Internet, ils avaient réclamé que soient relâchés leurs "frères" - dont des membres de leurs familles - emprisonnés au Cameroun et au Nigeria.

En mars, quelque 70 membres présumés de la secte Boko Haram avaient été arrêtés dans le nord-est du Nigeria lors d'opérations menées par la police et l'armée qui avaient aussi fait une cinquantaine de victimes dans les rangs des islamistes.

"Hervé Ghesquière, ancien otage français en Afghanistan, a affirmé que ce qui avait posé le plus de problèmes concernant sa libération et celle de Stéphane Taponier, c'était la demande de libération de prisonniers taliban par les ravisseurs", rappelle Antoine Glaser. En 2010, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait aussi effectué plusieurs voyages à Bamako pour convaincre le président malien, Amadou Toumani Touré, de libérer quatre salafistes algériens et mauritaniens en échange de la libération de l'otage français Pierre Camatte, détenu par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). À la libération de celui-ci, le président Nicolas Sarkozy avait effectué un crochet par le Mali pour remercier en personne le président pour avoir cédé et libéré les prisonniers.

Dans l'affaire Moulin-Fournier, si les différentes sources s'accordent à dire qu'une dizaine de détenus ont été libérés, l'identité et la nationalité de ces prisonniers demeurent inconnues. Sont-ils Camerounais ou Nigérians ? S'agissait-il de membres "secondaires" de Boko Haram, arrêtés pour des conflits fonciers ou commerciaux et non pour des affaires de terrorisme, comme l'affirme le quotidien "Le Monde" ? Du "menu fretin", comme l'indique "Le Journal du dimanche" ?

"Les non-dits de la diplomatie d'influence"

Ce qui est sûr en revanche, c'est que le chef de l'État camerounais Paul Biya a joué un rôle-clé dans les négociations. Les autorités françaises lui ont d'ailleurs rendu un hommage appuyé : "Le président camerounais a vraiment engagé tout ce qui était possible de faire en plein accord, en pleine coopération, en pleine collaboration avec la France", a ainsi affirmé François Hollande.

Comme lors de précédents incidents, le chef de l'État camerounais a fait usage de ses réseaux pour parvenir à résoudre la crise. "Le président camerounais, souvent vilipendé, décrié, a fait la démonstration de sa capacité à tenir son pays, jusque dans les péripéties du terrorisme", commente ainsi Yves Bonnet, ancien directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et président du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme.

Une efficacité qui permet à Paul Biya, au pouvoir depuis 30 ans, de redorer son image et celle de son pays. Ce succès diplomatique pourrait aussi arranger les affaires du président dans le dossier des biens mal acquis, Paul Biya faisant l'objet d'une enquête préliminaire de la justice française pour "recel de détournements de fonds publics".

"Bien sûr, il n'y a pas eu de 'deal' entre Paul Biya et Paris, indique Antoine Glaser. Il n'y a jamais d'accord, c'est bien plus subtil que ça. Mais évidemment, cette affaire a de l'influence sur le dossier des biens mal acquis. L'État français se considérera comme obligé vis-à-vis du président Biya. Si les juges d'instruction français sont saisis, ils iront jusqu'au bout, mais le parquet peut très bien ne jamais lancer d'instruction. Ce sont les non-dits de la diplomatie d'influence."

Outre le Cameroun, un grand nombre de parties auraient été impliquées dans ces négociations : une société britannique responsable de la sécurité pour GDF-Suez, des responsables africains, les services de renseignement français, britanniques et américains... Et le Nigeria qui, en acceptant de ne pas lancer d'opération armée contre Boko Haram sans l'aval de Paris, a également joué un rôle important.