La tension monte dans la péninsule coréenne, que le régime de Kim Jong-un menace d'un conflit nucléaire. Pour comprendre ce qui se joue dans cette région, FRANCE 24 a interrogé Jean-François Susbielle, géopolitologue spécialiste de l'Asie.
Depuis plusieurs semaines, le régime communiste nord-coréen menace quasi-quotidiennement les États-Unis et la Corée du Sud d’un conflit nucléaire sur fond de discours belliqueux. Signe de la tension régionale, la Corée du Sud a relevé son niveau de surveillance de sa voisine du Nord après le déplacement, par les autorités de Pyongyang, d’un ou deux missiles à longue portée, a rapporté, mercredi 10 avril, l'agence de presse Yonhap.
De son côté, le Japon s'est dit, toujours ce mercredi, "en état d'alerte", et prêt à détruire tout missile nord-coréen qui menacerait son territoire. Plus tôt, la Chine a, une fois encore, déploré la montée des tensions dans la péninsule coréenne et déclaré, en référence semble-t-il à la Corée du Nord, dont elle est le seul allié politique et principal partenaire commercial, qu'aucun pays ne devrait être autorisé à plonger la région dans le chaos.
Interrogé par FRANCE 24, Jean-François Susbielle, géopolitologue spécialiste de l’Asie, ces menaces semblent avant tout destinées à asseoir l'autorité interne et internationale du dirigeant Kim Jong-un.
FRANCE 24 : Faut-il s’inquiéter des menaces à répétition du régime de Kim Jong-un ?
Jean-François Susbielle : Non. La preuve, les marchés financiers, les Bourses en Corée du Sud et au Japon ne bronchent pas et n’intègrent aucun risque particulier qui serait lié à une menace militaire. Cela étant dit, ce n’est pas rendre service à Kim Jong-un qui cherche par tous les moyens à être pris au sérieux. Donc si on refuse de le prendre au sérieux, il fera de la surenchère et la situation peut, même s’il y a un faible risque que cela arrive, échapper à tout contrôle.
F24 : Quel est l’intérêt de Kim Jong-un de faire monter la pression dans la région en menaçant la péninsule coréenne d'une guerre thermonucléaire ?
J-F. S. : Depuis 1953, date de l’armistice de la guerre de Corée, Pyongyang applique la même stratégie qui est le chantage et l’extorsion en proférant des menaces dans un premier temps avant de négocier de la nourriture et du pétrole avec la Chine, les États-Unis et la Corée du Sud. Kim Jong-un qui est arrivé au pourvoir depuis moins de deux ans a un peu de mal à s’imposer sur la scène interne et sur le plan international. On peut donc imaginer que la poussée de fièvre actuelle prépare en fait, sans doute durant le courant de l’année prochaine, les négociations d’un traité de paix en bonne et due forme entre les deux Corées. Pyongyang souhaite par conséquent arriver à la table des négociations avec le plus d’atouts et de cartes dans son jeu.
F24 : Il semble que la Corée du Nord commence à agacer la Chine. De quels soutiens peut encore se prévaloir Kim Jong-un ?
J-F. S. : Le régime nord-coréen est l’idiot utile de beaucoup d’acteurs de la scène internationale, d’abord et en premier lieu celui des États-Unis. En effet, Washington justifie en grande partie sa présence militaire en Asie de l’Est - comptez 25 000 soldats au Japon et autant en Corée du Sud - par la menace nord-coréenne. Les Américains ont donc en quelque sorte intérêt à ce que cette menace existe. La Chine, de son côté, souhaite retarder la réunification de la Corée parce qu’il s’agit du dernier vestige de la Guerre froide, le Vietnam ayant été réunifié en 1975, et l’Allemagne en 1991. La réunification de la Corée est inscrite dans l’Histoire, mais Pékin souhaite qu’elle se réalise le plus tard possible, et non pas aujourd’hui sous les auspices des États-Unis.