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, envoyée spéciale à Marseille – Depuis le Printemps arabe, les blogueurs continuent de faire vivre l’esprit de la contestation sur la Toile. Ce mode d'expression n'est pas une finalité en soi, expliquent deux blogueuses, l'Égyptienne Dalia Ziada et la Palestinienne Asmaa al-Ghoul.

En 2011, avec les Printemps arabes, les médias et les institutions se passionnent pour les blogueurs. Des individus qui grâce aux technologies 2.0 parviennent à faire sauter le couvercle des vieilles dictatures et de la censure. Deux ans plus tard, dans les pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, la liberté d'expression reste souvent absente des grands médias et des débats politiques. Les blogs reste un espace d’expression et de liberté, où l'anonymat est possible et les coûts inexistants. Ce média est d'ailleurs souvent l'apanage des femmes. “Les femmes ont trouvé un lieu d'expression dans le blog. Les hommes ont déjà tous les outils en main : le journalisme et la politique”, résume Asmaa al-Ghoul, une blogueuse palestinienne.

Souvent pour ces écrivains frondeurs du Web, le bloguing ne représente cependant qu'une parenthèse de leur vie, celle du début d'une vie adulte, des tatonnements professionnels et de rêves encore en germe.

L'Égyptienne Dalia Ziada et la Palestinienne Asmaa al-Ghoul se sont fait connaître mondialement par leur blog. Toutes deux ont désormais tourné la page du Web pour concrétiser d'autres rêves. France24.com les a rencontrées au forum Anna Lindh, à Marseille, où la société civile et les politiques du pourtour méditerranéen étaient conviés du 4 au 7 avril. Un moment de rencontres et de débats dans un cadre international entre des acteurs qui dans leurs pays respectifs s’opposent et parfois s’affrontent.

  • Dalia Ziada : “Me présenter à l'élection présidentielle dans 20 ans”

Dalia Ziada est devenue une activiste incontournable de la jeunesse égyptienne. Blogueuse, elle dirige le Ibn Khaldun Center au Caire, une ONG spécialisée dans les questions des droits de l'Homme.

Lorsque la jeune femme entreprend en 2005, à l'âge de 23 ans, d'exprimer son indignation sur le Web, ce n'est que la longue suite d'un éveil précoce à la conscience politique. A l'âge de 8 ans, la jeune Dalia s'insurge contre les mutilations sexuelles imposées aux petites filles de sa famille. Devenue étudiante en littérature anglaise, elle en fait un combat de société. Ses premiers écrits sur le Web portent sur la condition des femmes égyptiennes, réduites au silence. “En fait, mon blog était la continuation de mon journal intime, que j'écrivais en anglais quand j'étais jeune pour ne pas que mes parents puissent le lire”, se souvient, amusée, Dalia.

Alors qu'elle commence à tenir ce blog, ses billets d'analyse sur la politique égyptienne et le sort des femmes sont remarqués par la presse américaine et Dalia se présente à un concours de l'American Islamic Congress destiné à déceler les talents parmi les jeunes intellectuels égyptiens. En soutenant l'idée que les femmes égyptiennes sont une “majorité supprimée”, son texte fait mouche. Elle gagne un prix et surtout elle entre en contact avec la communauté émergente de blogueurs dans le monde arabe. Lorsque l'un d'entre eux, l'Égyptien Kareem Amer, est jeté en prison pour athéisme et prises de positions défavorables au raï Hosni Moubarak, elle lance, avec l'aide d'un blogueur du Bahreïn, une vaste campagne de soutien sur la Toile. Trois ans plus tard, en 2010, Kareem Amer est libéré.

Entre temps, la jeune femme a gagné ses galons d'activiste, elle est recrutée par l'American Islamic Congress pour être la représentante de cette ONG en Égypte. Blogging, lobbying pro-démocratique, formation aux actions non-violentes: Dalia forge ses premières armes politiques. Elle est lauréate de prix internationaux, dont le prix de la Fondation Anna Lindh en 2010. Elle a contribué à diffuser dans le monde arabe une bande dessinée qui raconte la pensée et l'action de Martin Luther King. Les 18 jours d'occupation de la place Tahrir qui ont mené à la chute de Hosni Moubarak le 11 février 2011 ont-ils été inspirés par la philosophie du pasteur noir-américain ?

L'activisme dans la rue et dans les sphères du pouvoir prend une part de plus en plus importante dans la vie de Dalia Ziada, qui, après la révolution, délaisse peu à peu le blogging. Le site, en effeverscence durant la révolution de 2011, est au point mort depuis mai 2012. Entre temps, elle s'est présentée en 2011 aux élections législatives. Outre son rôle au Centre de recherche Ibn Khaldun, elle a lancé une académie pour enseigner aux jeunes les leçons qu'elle a tirées de son échec, et de l'échec de toute la jeunesse libérale et révolutionnaire, aux élections. Elle veut aussi combattre le sexisme dont elle pense avoir été victime au sein même du parti qu'elle a co-fondé, El-Adl. “On m'a mise de côté au profit d'un homme. Et c'est arrivé dans plusieurs autres partis libéraux. La société reste patriarcale, même parmi les jeunes révolutionnaires!”, regrette-t-elle.

Son objectif à long terme n'est autre que de se présenter à l'élection présidentielle en 2022, dans vingt ans. Le blogging peut donner des ailes.

  • Asmaa al-Ghoul : “Le blog, une forme d'écriture mêlant autobiographie et nouvelles”

S'exprimer librement sur le Web peut s'avérer très dangereux quand on vit à Gaza. Asmaa al-Ghoul en a fait les frais. Emprisonnement, menaces de mort, passage à tabac, exil au Caire, la jeune femme a payé le prix de la franchise de sa plume. Depuis un an qu'elle est rentrée à Gaza, Asmaa préfère ne plus bloguer “pour mettre un terme aux menaces de mort et protéger mon fils et ma fille”. “C'est dommage, vraiment”, soupire-t-elle, “parce que bloguer est dans mon sang.”

La notoriété qu'elle a acquise internationalement grâce au blog lui a servi de tremplin mais l'a aussi ostracisée dans son propre milieu familial. “J'ai les honneurs des uns, la disgrâce et le mépris des autres. Je respecte tous les avis.”

Nièce d'un des hauts resposables du Hamas, Asmaa al-Ghoul a dénoncé dès 2007, date de la prise du pouvoir du mouvement islamiste dans la bande de Gaza, les pratiques de torture et les exactions. La lettre ouverte qu'elle rédige alors fait le tour du monde. Son oncle la menace de mort.

Accro à l'écriture, journaliste dans l'âme, elle est une des rares de la famille à vouloir rester coûte que coûte à Gaza. Elle crée son blog en 2009 sous un pseudonyme, participe au mouvement “Wake up !” pour combattre l'islamisation de la ville et la politique du Hamas, défile dans les rues de Gaza en soutien à la révolution égyptienne. La police lui reproche de militer pour un Printemps arabe à Gaza. Elle fait plusieurs séjours en prison.

Aujourd'hui, Asmaa al-Ghoul vit de journalisme et de prix internationaux - dont le prix Anna Lindh -. Elle dit avoir refusé toute forme de subvention pour son activité de blogging, "ce serait contre-nature avec la liberté qu'offre le Web". En revanche, la jeune femme travaille actuellement pour un site américain centré sur l'actualité au Moyen-Orient, al-Monitor. “J'essaie d'être plus futée dans mon écriture que les articles qu'on trouve habituellement sur Gaza. Je vois plus loin que la guerre. Derrière les crimes d'honneur, je vois une femme digne. Derrière les meurtres, je rencontre des amis et des amoureux, j'assiste à des mariages.”

A côté du journalisme, la jeune femme va également publier deux livres, l'un qui regroupe ses billets de blog, un autre sur sa vie quotidienne à Gaza et ses souvenirs d'enfance. “J'écris des poèmes depuis l'âge de huit ans, explique-t-elle. Je ne veux pas devenir militante au sein d'une ONG ou ne faire que du journalisme.”

Mais le blog, qui est resté en jachère depuis un an, reste sa forme d'écriture d'élection. “J'essaie d'écrire mon livre comme j'ai écrit mon blog: avec ce que je suis. En écrivant à la première personne des textes qui ressemblent à de petites nouvelles. Un écrivain cherche plusieurs formes d'écriture. J'ai trouvé ma forme avec le blog”. Du journalisme au blog et à la littérature, la route de l'écriture est longue et dangeureuse pour Asmaa al-Ghoul, mais elle n'en imagine pas un autre. “Ma vie est à Gaza, je suis malheureuse ailleurs, je n'arrive plus à écrire !”