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À Gaza, le Hamas donne des gages aux groupes islamistes radicaux

Le Hamas a promulgué une loi qui interdit la mixité dans les écoles publiques comme privées. Une mesure qui démontre une volonté d'islamiser la société et un moyen de répondre aux critiques des groupes salafistes.

À partir de septembre prochain, filles et garçons iront désormais en cours séparément dans toutes les écoles de la bande de Gaza. Le Hamas, qui gouverne l’enclave palestinienne depuis juin 2007, a en effet promulgué lundi 1er avril une loi interdisant la mixité dans tous les établissements scolaires à partir de 9 ans. Le texte interdit également aux hommes d’enseigner à des jeunes filles.

Dans la bande de Gaza, les écoles publiques étaient déjà non-mixtes. Désormais cette pratique va s’étendre aux écoles privées, souvent chrétiennes, et celles gérées par l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Ce sont donc elles qui sont concernées par la nouvelle règle, puisque l'enseignement y était jusqu'à présent mixte jusqu'au lycée. Selon le ministère de l'Éducation, les écoles privées ont été invitées à discuter du nouveau texte avant son entrée en vigueur mais elles ont refusé. "Nous sommes un peuple musulman. [...] Nous faisons ce qui sert notre peuple et sa culture", a justifié Wali Mezher, conseiller juridique du ministère de l'Éducation.

Catherine Weibel, porte-parole du bureau de l’Unicef dans les Territoires palestiniens, estime pour sa part que "l’impact de la loi sera relativement limité compte tenu du fait que la proportion d’enfants gazaouis fréquentant les écoles privées ou celles de l’ONU est très minime. La majorité des élèves vont à l’école publique". Selon elle, la mesure n’est pas de nature surprenante car "la non-mixité scolaire est une pratique courante dans la région. Une sorte de tradition pas nécessairement liée à l’islam". Elle se réjouit même que la situation ne soit pas pire. "Nous n’avons jamais eu par exemple de problèmes de déscolarisation des filles comme cela peut être observé dans d’autres pays de la région", souligne-t-elle.

"Le Hamas applique son projet d’islamisation de la société"

D’autres toutefois ne l’entendent pas de cette oreille. C’est le cas notamment de Zeinab al-Ghoneimi, défenseur des droits des femmes à Gaza, qui parle de "ségrégation". Pour elle, la nouvelle loi est un nouveau signe de la volonté du Hamas d'imposer ses valeurs. "Plutôt que de se cacher derrière la tradition, pourquoi ne disent-ils pas clairement qu'ils sont islamistes et qu'ils veulent islamiser la société ?", explique-t-elle à l’AFP.

Joint par FRANCE 24, David Khalfa, maître de conférence à Sciences-Po, la rejoint sur ce point. "Le Hamas est la branche palestinienne des Frères musulmans, un parti islamiste qui pour des raisons idéologiques et historiques a pour projet d’islamiser la société. Le Hamas ne fait que mettre en œuvre ce projet", rappelle-t-il.

L’interdiction de la mixité dans les écoles n’est en effet pas la première mesure du genre. Diverses initiatives similaires du Hamas en matière sociétale ont été très critiquées ces dernières années comme l'imposition de la robe islamique pour les avocates et les écolières ou encore l'interdiction faite aux salons de coiffure pour femmes d'employer un personnel masculin. En mars dernier, le Hamas a également interdit aux femmes de participer au troisième marathon international de Gaza. L’UNRWA, organisateur de la course, a alors réagit en annulant l’évènement qui aurait dû avoir lieu le 10 avril.

David Khalfa rappelle que le Hamas, bien qu’il ait été élu lors d’un scrutin démocratique en remportant les législatives de 2006 face au Fatah, "exerce à Gaza un pouvoir autoritaire". Il évoque ainsi "la police des mœurs qui mène une chasses aux couples qui se promèneraient sur l’étroite corniche de l’enclave sans certificats de mariage, ou encore la loi imposant le niqab à l’université en février 2013". "Cette mesure a créé la polémique et il y a eu de la résistance au sein de la population mais de façon très minoritaire", relève-t-il.

"Le Hamas veut répondre aux critiques des salafistes"

Au-delà du projet d’islamisation de la société, David Khalfa voit également dans le comportement du Hamas une réponse à une crise interne. "Le Hamas est dépassé par les critiques nourries des mouvements salafistes. Ces derniers reprochent au Hamas d’être trop laxiste sur le plan des mœurs et d’avoir trahi les fondamentaux, d’une part en ne cherchant plus systématiquement l’affrontement avec Israël et d’autre part en pratiquant une sorte d’islam 'light' selon eux", explique le chercheur.

Or, ces groupes salafistes pèsent lourd dans le fragile équilibre des forces en présence dans la bande de Gaza car plusieurs d’entre eux sont armés et "soutenus par des clans familiaux influents". En adoptant une ligne dure, "le Hamas cherche à correspondre davantage à l’image qu’il doit avoir : celle d’un mouvement de résistance islamique. Il cherche avant tout à éviter que son autorité soit mise en péril". Pour ses détracteurs, la résistance que mène le Hamas à l’occupation israélienne n’est pas suffisante et ils aimeraient voir le mouvement imposer une application plus stricte de la charia.

"Le Hamas mène avec les salafistes un jeu assez trouble et complexe", analyse David Khalfa. Il tolère leurs critiques jusqu’à ce qu’il sente que son autorité est contestée : c’est la limite à ne pas franchir. Le mouvement islamiste n’hésite alors pas à sortir l’artillerie lourde : on se souvient de l’affrontement qui avait opposé en août 2009 le Hamas à un groupe salafiste rival retranché dans une mosquée de Rafah à la frontière avec l’Égypte. L’épisode s’était soldé par un bain de sang et plusieurs dizaines de morts.
 

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