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Affaire Amina : le film qui dénonce la condition féminine au Maroc

En mars 2012, Amina, une Marocaine de 16 ans, se suicidait après avoir été contrainte d'épouser son violeur. Un an après, le réalisateur Nadir Bouhmouch revient dans un film sur ce drame et montre qu'il va au-delà d'un simple problème de code pénal.

Il y a un an, le monde entier découvrait avec horreur le tragique destin d’Amina El-Filali. Cette jeune femme de 16 ans venait de se suicider, le 10 mars 2012, avec de la mort au rat dans son petit village près de Larache, dans le nord du Maroc. Un geste de désespoir pour échapper à une triste condition. Amina avait été contrainte de se marier quelques semaines plus tôt avec son violeur pour qu'il échappe aux poursuites.

"Lorsqu'une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l'annulation du mariage et ne peut être condamné qu'après que cette annulation du mariage a été prononcée", stipule ainsi l'article 475 du code pénal marocain.

L’engagement d’un jeune cinéaste

Ce drame a profondément choqué la société marocaine. Le réalisateur marocain Nadir Bouhmouch, étudiant en cinéma dans une université américaine, a lui aussi été bouleversé par cette histoire. Après avoir réalisé en 2011 un premier film sur les manifestations du Mouvement du 20-Février ("My Makhzen and Me"), il a choisi de revenir sur l’affaire Amina dans un nouveau documentaire intitulé "475 : Quand le mariage devient châtiment". "Je ne savais pas qu’une telle loi existait au Maroc. Malgré tous mes engagements en matière de démocratie et de droits de l’Homme, je n’avais jamais pensé aux droits des femmes au Maroc. Amina El-Filali a été comme un électrochoc", raconte le jeune cinéaste de 22 ans à FRANCE 24.

Sans aucune autorisation de tournage et armé de sa seule caméra, Nadir Bouhmouch est retourné pendant quelques semaines dans son pays natal pour comprendre les racines de cette tragédie : "En tournant notre film, nous avons réalisé que cette histoire était différente de celle montrée par les médias occidentaux. Nous avons voulu montrer que le Maroc n’est pas seulement constitué de femmes victimes et d’hommes violeurs".

Un système patriarcal

Là où les grandes chaînes de télévision comme Al-Jazeera, TF1 ou CNN se sont focalisées sur le code pénal et ses conséquences désastreuses, le jeune réalisateur dresse un tableau plus profond de la société marocaine. "La loi 475 n’est pas la source du problème, il s’agit plutôt du système patriarcal. Les médias ont eu une approche simpliste. Ils ont semblé occulter plusieurs éléments, notamment le fait qu’Amina n’a pas été forcée de l’épouser, mais qu’elle l’a choisi de le faire à cause du système patriarcal", souligne Nadir Bouhmouch.

En se rendant dans le village de la victime, l’équipe du film a ainsi compris que la jeune femme avait tout simplement suivi l’avis de ses parents. "Ils voulaient la marier pour sauver leur propre honneur alors que les médias les ont présentés comme des victimes qui pleuraient leur fille et qui critiquaient la loi. C’est totalement faux." Plus grave encore, le cinéaste a découvert que le père d’Amina avait lui-même abusé de Chouâa, sa seconde épouse. Un viol également déguisé en mariage.

"Il est important de montrer que, dans une seule famille, il y a deux cas de viols. Quand Benkirane [le Premier ministre marocain,NDLR] parle de seulement 550 cas dans tout le pays, on est très loin de vérité", constate amèrement le réalisateur qui, après le tournage, a aidé Chouâa à quitter le domicile conjugal et demandé de l'aide auprès de l'Association marocaine des droits de l'Homme.

Une œuvre militante et pédagogique

Pour dénoncer la condition féminine au Maroc, Nadir Bouhmouch a choisi de diffuser gratuitement son film sur Internet. Des projections et des débats sont également organisés un peu partout dans le monde grâce au relais de plusieurs associations. Pour le jeune homme, le cinéma est une action militante et une forme de "désobéissance civile".

Son documentaire n’a pas pour objectif de faire changer l'article 475 (son abrogation est d'ailleurs soutenue par le gouvernement marocain). Il préfère contribuer à faire évoluer les mentalités : "Le premier pas pour nous libérer de ce système patriarcal, c’est de le reconnaître et d’enseigner aux futures générations combien il est mauvais. Il est difficile pour les autorités et pour la plupart des Marocains de s’en débarrasser car, très souvent, il nous a été transmis par notre famille".