
Les victimes d'une attaque armée prient pour la paix dans le camp de déplacés internes de Bokkos, dans le centre-nord du Nigeria, le 27 décembre 2023. © Sunday Alamba, AP
Après les Afrikaners en Afrique du Sud, les chrétiens du Nigeria victimes d'un "génocide" ? Sans aller jusqu'à employer le terme, le président Donald Trump a dénoncé samedi 1er novembre la passivité des autorités nigérianes face aux massacres de chrétiens, allant jusqu'à suggérer la possibilité d'une intervention militaire américaine pour tuer "les terroristes islamiques qui commettent ces atrocités horribles".
"Lorsque des chrétiens, ou tout autre groupe, sont massacrés comme c'est le cas au Nigeria (3 100 contre 4 476 dans le monde), il faut agir !", a justifié le président américain sans se donner la peine de préciser l'origine de ces chiffres ni même ce à quoi ils correspondent.
Donald Trump semble ici faire référence au dernier rapport de l’ONG protestante Portes ouvertes, qui recense chaque année le niveau de persécution des chrétiens à travers le monde. Selon cette organisation, le Nigeria a été, de loin, le pays le plus meurtrier pour les catholiques et les protestants en 2024, avec 3 100 assassinats.
Mais ces chiffres sont à mettre en perspective du nombre de chrétiens au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique avec quelque 212 millions d'habitants. Environ 46 % de la population est chrétienne et vit majoritairement dans le Sud, contre 53 % de musulmans majoritairement implantés dans le Nord.
Or, le Nigeria est miné par des problèmes sécuritaires, en particulier la région nord-est, un foyer de l'insurrection jihadiste Boko Haram, qui a fait plus de 40 000 morts et déplacé plus de deux millions de personnes depuis 2009, selon les estimations des Nations unies.
Dans le Nord-Ouest, d'autres groupes terroristes sèment la terreur au sein de la population. La montée en puissance de Lakurawa, un groupe armé affilié à l'État islamique qui opère également au Mali et au Niger, inquiète particulièrement les autorités.

Ces dernières années, plusieurs assassinats et enlèvements de fidèles perpétrés par des groupes armés ou des bandes criminelles ont choqué l'opinion publique mondiale. En mai 2023, 40 personnes avaient été enlevées dans une église du Nord-Ouest par des hommes armés. En juin 2022, une attaque meurtrière durant la messe de la Pentecôte avait fait des dizaines de victimes, cette fois dans le sud-ouest du pays.
Les simplifications de Donald Trump
"Cependant, on ne peut pas parler d'un génocide, car ces violences ne ciblent pas uniquement les chrétiens", rappelle Dele Babalola, politologue à l’Université de Canterbury Christ Church, au Royaume-Uni. "Les groupes terroristes comme Boko Haram ou le groupe État islamique en Afrique de l'Ouest, ainsi que les organisations criminelles, ne font pas de discrimination entre chrétiens et musulmans", note le chercheur, qui déplore des "déclarations imprudentes" de la part de Donald Trump, susceptibles de déclencher une "crise religieuse".
Depuis 2009, Boko Haram, secte islamiste sunnite devenue groupe terroriste, a en effet aussi bien visé des soldats Nigerians que des chrétiens, mais aussi tous ceux qu'ils considèrent être de "mauvais musulmans". Le mouvement interdit notamment aux musulmans de prendre part à toute activité politique ou sociale associée à la société occidentale et considère que l'État Nigerian est dirigé par des non-croyants, que le président soit musulman ou non, rappelle la BBC.
"La plupart des victimes de Boko Haram sont des musulmans, malgré l'hostilité du groupe envers les chrétiens", abonde Gimba Kakanda, conseiller du président Tinubu, dans une tribune publiée par Al-Jazeera, rappelant que le groupe a tué "des milliers de musulmans, notamment des religieux, des chefs de village et des civils qu'il considère comme des apostats ou des opposants".
Les déclarations de Donald Trump tendent par ailleurs à réduire la question des violences qui minent certaines régions du pays à une guerre de religion. Outre la question de la confession religieuse, les conflits au Nigeria – pays qui compte 300 groupes ethnolinguistiques – résultent de multiples facteurs, notamment les rivalités ethniques et les conflits fonciers.
"Dans le centre du pays, l'insécurité est omniprésente. Elle est notamment liée au conflit qui oppose les agriculteurs et les éleveurs. Or, les agriculteurs sont majoritairement chrétiens et les éleveurs peuls musulmans. Lorsque les éleveurs attaquent des agriculteurs, certaines personnes, pour servir leur propre discours, disent que les musulmans ont attaqué les chrétiens. Mais ce n'est pas ce qu'il se passe. Il s'agit d'un conflit différent, même s'il a pris une dimension religieuse", décrypte Dele Babalola.
En réalité, la majorité de ces conflits viennent de différends fonciers, alimentés ces dernières années par la diminution des terres disponibles en raison du réchauffement climatique. Selon un récent rapport d’Amnesty International, 6 896 personnes ont été tuées au cours des deux dernières années dans des attaques perpétrées dans l’État de Benue, et 2 600 dans celui du Plateau.
Le Nigeria impuissant
Enfin, les propos de Donald Trump laissent supposer une forme de laxisme de la part d'un gouvernement nigérian qui "tolère les meurtres de chrétiens".
Vendredi, le président américain a également inscrit le Nigeria sur la liste des pays "particulièrement préoccupants" ("Country of Particular Concern", CPC) en matière de liberté religieuse, estimant que "le christianisme [y] est confronté à une menace existentielle".
Une décision qui semble répondre aux attentes d'une frange d'élus américains conservateurs et d'associations évangéliques. Au sein de l'Union européenne, l'extrême droite s'est également émue au Parlement de Strasbourg des massacres de chrétiens au Nigeria, appelant à renforcer les actions de l'UE en faveur de la liberté de religion.
"La liberté et la tolérance religieuses sont et resteront toujours au cœur de notre identité collective. Le Nigeria s'oppose à la persécution religieuse et ne l'encourage pas. Le Nigeria est un pays doté de garanties constitutionnelles protégeant les citoyens de toutes confessions", s'est défendu dimanche le président Bola Tinubu, lui-même Yoruba musulman.
Si le chef de l'État Nigerian encourage sans l'ombre d'un doute la diversité religieuse, la problématique des violences terroristes et celles des bandes criminelles reste un sérieux point noir de son mandat malgré sa promesse de faire de la lutte contre l'insécurité sa "priorité absolue".
"L'insécurité augmente et le gouvernement en porte la responsabilité. Le gouvernement doit se réveiller", tranche Dele Babalola qui espère désormais un sursaut. L'expert plaide pour une architecture de sécurité plus décentralisée, une augmentation des moyens de l'armée ainsi qu'un renforcement des contrôles aux frontières, en particulier dans le Nord.
Selon certains observateurs, les déclarations tonitruantes de Donald Trump pourraient faire office de représailles, alors que le Nigeria a refusé cet été d'accepter des prisonniers de pays tiers en provenance des États-Unis. Le pays le plus peuplé d'Afrique s'est également montré constant dans son soutien à une solution à deux États au Proche-Orient, condamnant à plusieurs reprises l'offensive d'Israël sur la bande de Gaza.
Face à la colère trumpienne, Abuja a pour le moment choisi la voie de l'apaisement diplomatique. Le président Tinubu a ainsi évoqué une rencontre "dans les prochains jours" entre les deux chefs d'État.
