Nombre d'auteurs roumains ont décidé de boycotter le Salon du Livre, qui se déroule du 22 au 25 mars à Paris, pour dénoncer la politique culturelle de leur pays. En réaction, le Premier ministre Victor Ponta a également annoncé son désistement.
Le Premier ministre roumain Victor Ponta n'a pas assisté jeudi soir à l'ouverture du salon du livre de Paris où la Roumanie est, cette année, invitée d'honneur. Par ce désistement, le chef de gouvernement réagit lui-même… au boycott annoncé de plusieurs écrivains roumains de renommée internationale. Eux dénoncent la politique culturelle de leur gouvernement.
Avec ce jeu de chaise vide, c’est la crise culturelle du pays qui fait surface. Les écrivains, dont Mircea Cartarescu, auteur contemporain roumain le plus traduit et souvent évoqué comme possible Prix Nobel de littérature, le philosophe et directeur des éditions Humanitas Gabriel Liiceanu ou encore Andrei Plesu, ancien ministre de la Culture et écrivain, entendent marquer leur désaccord avec la politique menée par l'Institut culturel roumain (ICR).
Mircea Cartarescu a dénoncé, dans une interview à l’AFP, la "guerre contre les intellectuels roumains les plus connus" menée par le directeur de l'ICR, Andrei Marga, et son équipe, nommés en septembre dernier par la majorité de centre gauche, dans un contexte politique très tendu. Selon l’écrivain, cette institution "fait revenir quatre décennies en arrière", aux temps de l'ancien dictateur communiste Nicolae Ceausescu et de ses "kulturniks", ces activistes communistes responsables de la culture.
De son côté, le directeur de l'ICR a minimisé la portée de ce boycott, affirmant mardi que "pour ceux qui ont choisi de ne pas répondre à l'invitation française, les autres auteurs présents au Salon représenteront de manière convaincante la culture roumaine".
Des "adversaires politiques" qui "lavent leur linge devant le public européen"
Des centaines d'artistes et de responsables culturels du monde entier dont les Prix Nobel de littérature suédois Tomas Tranströmer et allemand Herta Müller, l'éditeur français Paul Otchakovsky-Laurens (éditions P.O.L), l'écrivain Jean Mattern, ou les cinéastes roumains primés à Cannes comme Cristian Mungiu et Cristi Puiu avaient dénoncé, au moment du changement de direction à la tête de l’ICR, une "épuration " contre une institution dont ils louaient le professionnalisme et une tentative "d'encadrement politique" de la culture.
Aussitôt après sa nomination à la fin de l’été 2012, Andrei Marga, ancien ministre des Affaires étrangères, avait en effet changé la mission de l'Institut, appelé désormais à "conserver l'identité nationale" du pays, alors qu'il se chargeait avant tout jusque là de promouvoir les voix artistiques indépendantes.
D’après Mircea Cartarescu, aucun écrivain roumain "digne" ne devrait se rendre à Paris afin d'éviter de côtoyer le Premier ministre Ponta, dont la "culpabilité morale entachera irrémédiablement le visage de la culture roumaine". Le chef de gouvernement a été reconnu coupable de plagiat dans sa thèse de doctorat par plusieurs commissions d'universitaires – ce que l’intéressé nie.
Pour sa part, le chef de gouvernement a commenté ainsi le boycott des écrivains : "Certaines personnes, toujours les mêmes, ne ratent pas une seule occasion pour provoquer un scandale et ridiculiser" la Roumanie, a-t-il lancé lors d’un Conseil des ministres. Sans nommer les écrivains en question, Victor Ponta a fustigé des "adversaires politiques qui ont l'habitude de laver leur linge devant le public européen, la pire chose qu'on puisse faire contre la Roumanie".
Pour représenter la Roumanie, le ministre de la Culture se rendra porte de Versailles, à Paris, à l’ouverture du Salon du livre, de même que plusieurs écrivains roumains qui ont accepté l’invitation.
Avec dépêches