logo

Quand une exposition d'archéologie cristallise les tensions israélo-palestiniennes

L'exposition au musée d'Israël de la chambre funéraire d'Hérode, roi des juifs avant l'ère chrétienne, suscite l'exaspération de certains scientifiques qui y voient une volonté du gouvernement israélien d'utiliser l'archéologie à des fins politiques.

L'héritage explosif du roi Hérode

Ironie de la polémique sur Hérode, Israël célèbre son histoire juive au travers de la vie d’un roi à la judéité peu ancrée, qui a régné avec cruauté sur la Judée à coup de décisions sanguinaires et d'alliances avec Rome, mais qui a eu le mérite de léguer à l'histoire des projets architecturaux colossaux – le second Temple, le port de Césarée ou encore la forteresse de Massada - ce qui en fait un "héros national" peu conventionnel.

Que les tensions israélo-palestiniennes puissent être incarnées par Hérode n’est cependant pas innocent : sous le règne du souverain, au premier siècle avant Jésus-Christ, le second Temple a connu son âge d’or architectural. Sur cette esplanade immense dans la vieille ville de Jérusalem, ont ensuite été construits le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa. L'un des pans du mur du Temple est devenu l’emblématique "Mur des lamentations", lieu de prière pour les juifs. Dans les rêves les plus fous de certains rabbins, le Temple a vocation à être érigé à nouveau. Le leg du roi Hérode reste une pomme de discorde entre Israéliens et Palestiniens. Il est en partie responsable de l'échec des négociations de camp David en 2000. De là est également partie la seconde Intifada.

Peu d’expositions archéologiques peuvent se targuer de pouvoir cristalliser toute la tension d’une région. Voire de créer une polémique à multiples entrées. Le musée d’Israël, à Jérusalem, propose d’admirer la tombe d’Hérode, le roi qui a régné de -37 à -4 avant l’ère chrétienne sur la Judée, territoire qui s’étend aujourd’hui partiellement sur les terres de l'État israélien et sur les territoires palestiniens de Cisjordanie.

Les explosifs géopolitiques contenus dans cette exposition sont à plusieurs retentissements. Le premier désaccord qui a éclaté au grand jour est au sujet de l'emplacement de la chambre funéraire d’Hérode. Le trésor archéologique a été retrouvé en 2007 par le professeur israélien Ehoud Netzer dans l’ancienne ville romaine de Hérodion, à quelques kilomètres de Bethléem, au sud de Jérusalem, dans une "zone C" que les Palestiniens revendiquent comme la leur en vertu des accords d’Oslo. Mais les "accords intermédiaires", signés dans les années 1990, placent ce site archéologique sous le contrôle administratif israélien.

"Pour l’instant, les propriétaires ne sont ni les Palestiniens, ni qui que ce soit d’autre"

Une base militaire israélienne, sise aux pieds du site, participe de l’atmosphère de tension. "Ils [les Israéliens] pillent tout ce qu’ils veulent, sans demander l’autorisation de qui que ce soit", s'insurge un habitant du village attenant, interrogé par Gallagher Fenwick, correspondant de FRANCE 24 en Israël. Si les fouilles du site de Hérodion par des chercheurs israéliens sont admises, en revanche, la sortie des objets hors du site, a fortiori pour être exposés côté israélien, aurait dû faire l’objet de tractations, regrette l’Autorité palestinienne, qui envisage de porter plainte auprès de l'Unesco, dont la Palestine est membre à part entière depuis 2011.

Le musée rétorque que ces trésors archéologiques ont été prêtés et qu’ils seront tous "restitués au propriétaire une fois l’exposition terminée", explique le conservateur de l'exposition, David Mevorah, à FRANCE 24. Restitués aux Palestiniens ?, s'enquiert le journaliste Gallagher Fenwick. "Non, pour l’instant, les propriétaires ne sont ni les Palestiniens, ni qui que ce soit d’autre. Mais je veux simplement dire que ces objets ne resteront pas dans le musée", répond le conservateur.

L'archéologie interprétée

Bien que l’identité du propriétaire de ces trésors archéologiques reste indéterminée, leur exploitation future est plus certaine. Le tourisme lié au passé archéologique de la Terre-Sainte, riche de son histoire pluri-millénaire mouvementée, constitue une des sources de richesse de l’État d’Israël. L’ancienne ville romaine Hérodion est d’ores et déjà incluse dans le plan de 2010 du gouvernement israélien pour le programme "National Heritage Sites Project".

Ce programme de protection des sites archéologiques sur cinq ans est lui-même porteur d’une bombe à retardement. L'association israélienne Emek Shaveh, qui regroupe des archéologues et des militants politiques, épingle les motivations gouvernementales, qui sont ouvertement de vouloir "insuffler une nouvelle vie au sionisme” pour “faire face au déclin idéologique et culturelle, et à la perte d’identité parmi les jeunes et le public en général, qui met en danger la cohésion nationale et l’existence d’Israël". Emek Shaveh critique fortement cette tendance à mettre l’archéologie au service de la politique, et dénonce le risque de voir toute la complexité des sites archéologiques gommée au profit d'une vision uniquement judaïsante de l'Histoire.

Les Palestiniens en tirent les conclusions pour eux-mêmes. Le vice-ministre palestinien du Tourisme et des Antiquités, Hamda Taha, dénonce sur FRANCE 24 l’utilisation faite par les Israéliens de la tombe d’Hérode pour "justifier politiquement et historiquement la politique israélienne de colonisation de la Palestine".

Bande annonce de l'exposition