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Une enquête menée par le Guardian et la BBC révèle que la torture était pratiquée en Irak pendant l'occupation américaine. Des méthodes qui étaient connues du général David Petraeus et de l’ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld.

Dix ans après le début de l’invasion américaine en Irak, un nouveau scandale vient écorner l’image de l’armée américaine. The Guardian et la BBC en arabe ont révélé, mercredi 6 mars, dans un documentaire d’une cinquantaine de minutes, que les États-Unis avaient missionné un vétéran des "guerres sales" d’Amérique centrale pour organiser une milice paramilitaire irakienne qui a commis "certains des pires actes de torture sous l'occupation américaine" et "accéléré la plongée du pays dans la guerre civile".

Selon l’enquête, qui a duré quinze mois et mobilisé de nombreux journalistes, il s’agit du colonel James Steele, 58 ans. Nommé par le secrétaire à la Défense américain Donald Rumsfeld, ce vétéran des forces spéciales se trouvait en Irak entre 2003 et 2005 pour superviser cette force spéciale irakienne, dont les membres recrutés dans des milices chiites avaient pour objectif de mater l'insurrection sunnite. Ce conseiller spécial a été secondé, en juin 2004, par un autre colonel, James H. Coffman qui, lui, rendait des comptes au général David Petraeus.

"Ils savaient très bien ce qui se passait là-bas"

Les deux colonels "travaillaient main dans la main", témoigne dans le reportage un général irakien, Muntadher al-Samari, qui les a très souvent vus ensemble dans les centres de détention. "Ils savaient très bien ce qui se passait là-bas [dans ces centres de détention], indique-t-il. […] toute cette torture, la plus horrible qui soit." Ces pratiques étaient financées par de l’argent public américain, apprend-on également au cours de l’investigation.

Ces accusations, qui reposent sur plusieurs témoignages américains et irakiens, visent donc les plus hautes personnalités de l’armée américaine, à savoir l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le général David Petraeus, qui a démissionné de la tête de la CIA en novembre dernier à cause d’une liaison avec sa biographe. C'est la première fois que des responsables de haut rang se trouvent accusés par des témoins d'atteintes aux droits de l'Homme durant la guerre en Irak.

Par le biais d'un porte-parole, le général s'est défendu auprès du Guardian d'avoir couvert ce genre d’activités. "Au cours de ces années passées en Irak, le général Petraeus a eu connaissance d'allégations de tortures par les forces irakiennes. À chaque incident, il a immédiatement rapporté l'information au commandement militaire américain, à l'ambassadeur américain à Bagdad... ainsi qu'aux leaders irakiens appropriés."

Cette enquête fait suite à l’affaire Wikileaks qui a publié, en octobre 2010, des centaines de documents confidentiels sur la guerre en Irak. Parmi ces notes, certaines faisaient état de cas de torture dans lesquels des soldats américains étaient impliqués.

Le Pentagone a "besoin de temps" pour réagir à ces accusations

Suite à ces nouvelles révélations, le Pentagone a ouvert une enquête et indique avoir besoin de temps pour réagir, rapporte le Guardian. "Comme vous le savez, une affaire concernant des accusations d’abus et de torture de prisonniers irakiens est délicate, pleine d’histoire et d’émotion. Cela prendra du temps d’apporter une réponse rigoureuse”, précise le porte-parole Jack Miller.

Cette réaction américaine mesurée tranche avec celle des Irakiens. À Samarra où se trouve un des ces fameux centres de détention, les habitants, qui étaient au courant de ces pratiques, ont aujourd’hui hâte qu’elles soient révélées au grand jour, indique le journal britannique. Ils espèrent que ces violations soient reconnues comme crimes contre l’humanité.

Washington devrait enquêter sur cette éventuelle responsabilité, ou complicité, des États-Unis concernant les violations des droits de l’Homme commises par la force spéciale irakienne, estime, dans les colonnes du Guardian, une spécialiste du Moyen-Orient à Human Rights Watch, Erin Evers.

Les soldats américains pourraient en théorie être jugés à la Cour pénale internationale même si les États-Unis ne font pas partie des États membres, confirme un juriste américain, Noah Weisbord, cité également dans le journal. Mais il faudrait d'abord obtenir l'aval du Conseil de sécurité des Nations Unies. "Et étant donné que Washington y dispose d’un droit de veto, il semble peu probable que des poursuites soient engagées", conclut-il.