
envoyé spécial en Italie – Par crainte de railleries, les électeurs du Cavaliere se font silencieux voire invisibles. Mais les résultats des législatives démontrent que Silvio Berlusconi continue de séduire une frange de la population italienne.
Lorsque l’Italie s’est rendue aux urnes dimanche 24 février, première journée de vote pour les élections législatives, le chef de la coalition de centre-gauche, Pier Luigi Bersani, a confié : "Nous serons victorieux. 2006, c’est du passé". Contrairement à la victoire à la Pyrrhus de Romano Prodi il y a sept ans, Pier Luigi Bersani affirmait que sa victoire serait décisive. Il a eu en partie raison. Cette élection n’a pas été celle de 2006. Elle est bien pire.
La gauche a arraché la victoire à la Chambre des députés avec une très courte avance (124 000 votes) contre un Silvio Berlusconi revigoré. Mais il lui manque désormais 40 sièges pour avoir la majorité au Sénat.
Son rêve d’un gouvernement de centre-gauche stable annihilé, Pier Luigi Bersani est obligé de constater le retour spectaculaire d’un homme que tout les Italiens pensaient rayé de la carte.
La surprise Beppe Grillo
La situation désespérée de Pier Luigi Bersani est, bien entendu, une conséquence de l’avènement de Beppe Grillo, dont le MouVement Cinq étoiles a capté 25 % des voix et 164 sièges au Parlement italien.
Comment Silvio Berlusconi est-il parvenu à balayer l’avance de 17 points créditée à Pier Luigi Bersani au début de la campagne ? "Avant même d’entrer en lice, il a placé la campagne sur son terrain de prédilection en promettant d’abandonner un odieux impôt foncier et de rembourser la somme que les Italiens ont payé l’an dernier", analyse Paolo Bellucci, professeur de politique contemporaine à l’université de Sienne, la veille du vote.
Aux plus sceptiques, Silvio Berlusconi a assuré que le manque à gagner de l’État serait compensé par le rapatriement d’une partie de l’argent détenu par les Italiens dans des banques suisses. Une annonce à peine crédible que certains de ses rivaux ont tout de même perçue comme une "étincelle de génie".
Peu importe que l’Italie ne puisse pas effectuer de tels remboursements ou que la Suisse ait précisé qu’il faudrait des années pour trouver un tel accord. Tout autant pour la promesse de Berlusconi, homme d'affaires, de puiser sur ses propres deniers, ce qui revenait, en d'autres termes, à acheter le vote des citoyens.
Malgré de nombreux procès (dont une condamnation pour fraude fiscale en octobre dernier), les lois passées en sa faveur, qu’il soit la risée du monde entier, sauf dans la Russie de Vladimir Poutine, qu’il fasse libérer une prostituée de 17 ans par crainte qu’elle divulgue leur liaison... Un quart des Italiens continue de voter pour son parti et un tiers soutient sa coalition.
Dire que l'on vote Berlusconi expose "aux railleries"
La justice italienne ouvre une enquête pour corruption contre Silvio Berlusconi. L'ancien président du Conseil italien est soupçonné d'avoir corrompu un sénateur de centre gauche en lui versant trois millions d'euros en 2006.
Pourtant, quand Berlusconi a annoncé son retour en politique à l’âge de 76 ans, en décembre dernier, les sondages lui créditaient 12 % des intentions de vote. Grâce à une campagne féroce, le Peuple de la liberté (PDL) est parvenu à remonter la pente. En vain. Quelques jours avant le scrutin, des sondages confidentiels donnaient sa coalition en troisième position, juste derrière Beppe Grillo.
Même son de cloche lundi 25 février, lorsque les premiers sondages sortis des urnes créditaient la gauche de six points d'avance. Moins d'une heure plus tard, cette avance s'était évaporée. Pour Pierangelo Battista, journaliste au "Corriere de la Sera", le quotidien le plus diffusé en Italie, les électeurs du PLD "ont menti aux instituts de sondage parce que voter pour Silvio Berlusconi n’est pas un signe de finesse, cela expose à la raillerie".
Ces électeurs invisibles et silencieux sont introuvables. Quelques jours avant l’élection, FRANCE 24 n’en a pas rencontré un seul en Lombardie, bastion de Silvio Berlusconi, ni en Toscane (fief de la gauche), encore moins à Rome, ville pourtant "indécise".
Près de Varese, place forte de la droite, nombre de personnes interrogées ont bondi rien qu'à entendre prononcer son nom, y compris des activistes de la Ligue du Nord qui ont regretté leur alliance avec le Cavaliere.
"La question fiscale" sous-estimée
"Mais, loin d’être un "Ohio italien" (État indécis dans l’élection présidentielle américaine, NDLR), la Lombardie a montré qu’elle était un "Texas italien", une citadelle imprenable de la droite", a écrit Curzio Maltese mercredi 27 février dans le journal de centre-gauche "La Repubblica". Pour lui, la défaite de la gauche en Lombardie s’explique par le fait que Pier Luigi Bersani a sous-estimé la "question fiscale", contrairement à Berlusconi.
"Berlusconi pourrait provoquer toutes les catastrophes possibles, il n’en demeure pas moins qu’il parle le langage de toute une frange de la population", souligne Gabriele Agostini, journaliste au "Corriere de la Serra".
Une semaine avant le vote, lorsque le PDG de Finmeccanica, le géant de l’aérospatial lombard, a été arrêté pour corruption d'officiels indiens dans le cadre de la signature d’un contrat, Berlusconi a été le seul homme politique à blâmer la justice pour avoir mis à mal des emplois italiens. "Parfois, on ne peut rien vendre sans verser un dessous de table", avait-il fait valoir.
Berlusconi sait prendre les Italiens "alla pancia", c'est-à-dire "aux tripes". "Il connaît leurs points faibles, leur crainte de la discipline, de l’État, de perdre leur maison, d’être pris la main dans le sac", estime Maurizio Cotta, professeur à l’université de Sienne.
Tant que la gauche ne prendra pas ces sujets à bras le corps, certains électeurs continueront d'appartenir à Silvio Berlusconi. "Le monde que défend Silvio Berlusconi depuis toutes ces années n’a pas été happé par un trou noir", a écrit Gabriele Agostini. "Les médias n’ont rien vu, la bulle dans laquelle vivent les faiseurs d’opinions non plus. Mais le centre droit est toujours vivant dans le pays, aussi mal en point qu’il soit. En sous-estimant et en tournant en dérision ses mots, ses centres d’intérêts, les bobos de centre gauche accumulent les plus déprimants échecs de l’histoire italienne".