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Le carnet de route de l'envoyé spécial de FRANCE 24 au Mali

Entre le 29 janvier et le 6 février, le grand reporter de FRANCE 24 Willy Bracciano s'est rendu de Niamey, au Niger, à Gao, au Mali. Il livre ses impressions dans son carnet de route, à la rencontre des habitants mais aussi des militaires.

Mercredi 6 février : le Mali en demi-finale de la CAN

Le Mali est qualifié pour la demi-finale de la Coupe d'Afrique des nations face au Nigeria. Les rues de Gao ne sont pas désertes pour autant. Pour deux raisons : tout d'abord, il n'y a pas d'électricité en journée dans la ville; ensuite, tous les foyers ne possèdent pas un téléviseur. Du coup, les seuls télévisions disponibles sont dans les lieux publics. Comme cette salle utilisée lors des grandes occasions. Une trentaine d'hommes s'y sont donnés rendez-vous. L'entrée est payante, 250 francs CFA, car il faut payer l'essence du groupe électrogène.

C'est l'excitation dans la salle. Après la libération de la ville, le 26 janvier dernier, c'est l'événement de ce mois de février. "Après la libération, si on gagne ce sera notre deuxième victoire," me lance, enthousiaste, Doumma. Mais ses espoirs seront vite douchés dès la première période. Le Nigeria se montre très offensif au point d'inscrire 3 buts. A la mi-temps, certains en profitent pour prier. D'autres s'interrogent sur une possible victoire qu'ils voient s'éloigner. Finalement, les prières n'auront servi à rien puisque le Nigeria lamine le Mali 4-1.

À Gao, on se résout à cette défaite avec beaucoup de philosophie surtout après avoir vécu près d'un an sous le Mujao...

Mardi 5 février : préparation de l'après-Mujao

Nous traversons le quartier administratif de Gao dans lequel se situent le palais de justice, la mairie ou encore l'Assemblée régionale. Toutes ces administrations sont fermées ou ont été saccagées, comme la mairie qui avait été transformée en tribunal de la charia par le Mujao.

Nous nous rendons quelques mètres plus loin vers le bâtiment qui accueille le "Cercle de Goa", la collectivité territoriale qui regroupe sept communes voisines dont Gao. "Tout n'est que ruines et désolation", me lance Sadou Harouna Diallo, le maire de Gao, qui depuis le 27 janvier cumule toutes les fonctions administratives de la ville en plus de son rôle de maire. "Il me faudrait plus que 24 heures par jour pour tout régler", soupire t-il.

À terre, des centaines de documents officiels (cartes d'identité, actes de mariage, passeports, etc.). Une grande partie finira à la poubelle et ce qui peut être sauvé le sera puis sera stocké dans une maisonnette et mis à disposition des archivistes de l'administration.

À Gao, l'objectif est de restaurer les institutions de l'État. Premier signe visible : la reprise de l'école lundi. Nous allons dans un groupe scolaire qui accueille des élèves du CP à la 6e. Le directeur nous explique que sur les 1 300 élèves, seuls 760 ont pu regagner les bancs de l'école. Les professeurs titulaires ayant fui vers le sud du pays, les cours sont assurés par des professeurs volontaires venant d'autres villes avoisinantes.

On estime à 30 000 personnes le nombre d'habitants qui ont quitté la ville qui d'ordinaire en compte 70 000. Parmi eux, les minorités arabes et touareg accusées par la communauté noire d'avoir été complices du Mujao.

Les principaux commerces sont détenus par les Arabes. La plupart était encore fermé ce mardi-là. Pour les rassurer et les inciter à revenir, le "Conseil des sages de Gao", composé entre autre de chefs de tribus sédentaires, lancent des messages d'apaisement. Ce sont des messages radiophoniques ou des appels lancés par l'intermédiaire des imams dans les mosquées. Tous soulignent que la ville est sous protection militaire et que les représailles n'auront pas lieu. À voir.

Lundi 4 février : coopération militaire franco-malienne

Cette après-midi là nous avons rendez-vous avec le colonel Vandeneste, commandant des forces Serval à Goa. Nous sommes escortés par le capitaine Sébastien, l'officier chargé des relations avec les médias.

Nous arrivons sur la base installée à l'aéroport. Là, nous observons les aller-retour des hélicoptères et nous assistons au décollage d'un avion Transal chargé de matériel pour la logistique. L'ambiance est détendue. Les soldats présents nous interpellent sur l'origine de notre média. À l'évocation du nom de FRANCE 24, certains nous affirment regarder souvent la chaîne, quand ils le peuvent, lors de leurs déplacements à l'étranger.

Non loin de la piste d 'atterrissage, plusieurs hommes font des va-et-vient en transportant des tonnes de matériels. Un adjudant du 1er Régiment chasseurs parachutistes de Pamiers m'indique qu'il s'agit d'eau et de munitions pour tenir quelques jours sur le camp.

Et puis arrive le colonel Vandeneste. Un homme d'expérience qui a l'habitude de ce type de missions : épauler les armées en difficultés. La dernière de ce genre était en République démocratique du Congo, me confie t-il. En l'écoutant, j'ai le sentiment qu'il a passé beaucoup plus de temps à l'étranger que dans le Nord de la France d'où il est originaire. Pour l'anecdote, il me glisse qu'il a passé quelques années à la Martinique, mon île natale. Nous échangeons quelques phrases en créole... Un grand moment de rigolade... Il m'abandonne quelques minutes pour dialoguer avec son homologue malien.

Depuis le début de l'opération Serval, les forces françaises sont aux côtés de l'armée malienne. Une armée qui, avec la guerre contre le MNLA et depuis le coup d'Etat de mars 2012, est déstructurée et n'a pas de hiérarchie claire. L'un des rôles de l'armée française est de l'assister pour l'aider à se remettre en ordre de marche. La coopération semble se dérouler en bonne intelligence.

Le colonel Vandeneste me précise que les Français ne resteront pas indéfiniment au Mali et que d'ici quelques semaines l'armée malienne retrouvera sa place. Et d'ajouter que l'armée malienne n'a pas vocation à rester à Gao et que d'ici peu gendarmes et policiers prendront le relais dans la ville.

Dimanche 3 février : arrestation de djihadistes

Les frappes aériennes françaises s'intensifient sur la region nord de Kidal, détruisant des dépôts de logistiques et des centres d'entrainement de djihadistes. Nos sources nous apprennent, ce même jour, que deux individus importants ont été arrêtés par le MNLA. Il s'agit de Mohamed Mossa Ag Mohamed Almustapha et d'Oumayni Ould Babamed.

Le premier est le numéro 3 d'Ansar Dine et a des liens avec Aqmi. Il est connu à Tombouctou comme étant celui qui faisait appliquer la charia et ordonnait la construction de mosquées. Le second est membre du Mujao. Il serait impliqué dans l'enlèvement d'un otage français.

En fin d'après-midi, c'est la panique sur le marché principal de Gao.

Deux hommes en treillis sont suspectés par la population de ne pas appartenir à l'armée malienne, car ne disposant pas d'écusson sur leur tenue. Plus de peur que de mal, il s'agissait en fait d'hommes appartenant à l'unité du colonel-major Gamou.

Cet incident témoigne d'une chose : l'inquiétude et la tension qui règnent au sein de la population malgré la présence importante de troupes dans et aux abords de la ville.

Samedi 2 février : dans les rues de Gao avec le colonel-major Gamou

"L'application de la charia, c'est la voie vers le bonheur, la voie vers la paradis", indique un panneau dans Goa. Une inscription laissée par les anciens maîtres de la ville, le Mujao. Les habitants essaient d'effacer les traces mais elles sont tenaces. Comme la place de la charia, au cœur de la ville. Elle servait de lieu de correction à coups de fouet pour une cigarette fumée, une consommation d'alcool, le non-port du voile, l'écoute de la musique...

Le président Hollande est en visite officielle au Mali, ce jour-là. Il ne viendra pas à Gao. La ville est privée d'électricité en journée et c'est à la radio que les habitants écouteront le discours du président français.

Dans l'après-midi, nous rencontrons le colonel major El Hadj Ag Gamou, un emblématique Touareg à la tête d'une unité de l'armée malienne qui avait combattu les rebelles touareg du MNLA et les islamistes d'Aqmi, avant que son armée ne soit en déroute et acculée à l'exil au Niger.

Dix mois après, il n'a rien perdu de sa popularité dans les rues de Gao. 

Nous sommes la première télévision à le suivre depuis son retour au Mali.

Ag Gamou est également connu comme un officier qui s'est servi de sa position d'officier dans l'armée pour se positionner dans une région qu'il connaît bien et pour prendre sa part du gâteau. Et assoir sa part de leadership dans le monde touareg.

Aujourd'hui sur le nouvel échiquier, il prend une position intéressante, celle de représenter les Touareg intègres qui acceptent l'État malien. Il est surveillé par certains, mais accepté, car tous ceux qui combattent le terrorisme sont utiles.

Vendredi 1er février : sur la route entre Labézanga et Gao

C'est décidé, nous nous rendons au Mali par nos propres moyens. Nous ferons la route de Niamey à Gao, plus de 500 kilomètres et près de 6 heures de route. Nous sommes la première télévision occidentale à emprunter cette route.

Nous vérifions point par point si l'axe est sécurisé grâce aux contacts de notre fixeur. Une fois sortis du Niger, nous arrivons à Labézanga, ville frontalière. Elle a des allures de ville morte. Avant l'offensive francaise, le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest) y régnait en maître.

Ici, pas de gardes aux frontières. Les habitants s'organisent pour réguler le passage.
La seule épicerie de la ville manque de tout. Les habitants nous racontent que les écoles sont fermées car les djihadistes ont pillé les classes et ont utilisé les planches des tables pour alimenter le feu servant à cuisiner.

Nous continuons notre périple en direction d'Ansongo. Notre avancée est stoppée par un pont dynamité quelques jours plus tôt par le Mujao pour ralentir la progression des troupes africaines à leur trousse.

Trente kilomètres plus loin, la ville d'Ansongo.Les traces des dhijadistes sont bien présentes. Leurs panneaux n'ont pas été enlevés. Les bâtiments utilisés par les djiahadistes ont été éventrés par les frappes de l'aviation française.

Les habitants avec lesquels nous avons discuté nous ont fait part de leur soulagement. Et remerciaient la France pour son intervention.

Quelques kilomètres plus loin, le marché, le long de la rue principale, est animé. 

Nous continuons de longer le fleuve Niger qui, au passage, nous offre un décor splendide. Quel dommage que cette région soit si troublée ! Elle aurait pu être une belle région touristique.

À 18 heures, nous sommes à 8 kilomètres de Gao. Nous sommes contrôlés par des soldats nigériens. Ils veulent nous escorter jusqu'à la ville car la nuit commence à tomber.

Nous devons attendre l'autorisation d'avancer. L'attente durera 2 heures. Ce sont finalement deux véhicules de l'armée française qui nous escorteront. Bien évidement, ils doivent effectuer toutes les vérifications d'usage sur notre identité et contrôler notre véhicule... Les militaires craignent des attaques à la voiture piégée.

Tard dans la soirée, nous arrivons à notre lieu d'hébergement. Un couvre-feu est instauré à 20h30.

Jeudi 31 janvier : tempête de sable sur la région

Nous sommes toujours sans nouvelles d'un hypothétique avion ou d'une colonne pour nous escorter. Et en plus une tempête de sable sévit sur la région empêchant tout décollage. Nous décidons donc d'aller vers Mangazie, à 150 km de Niamey, sur la route de Ouallam. Une route qui conduit vers Ménaka.

Depuis les événements dans la région, cette route est interdite aux étrangers qui ont la peau blanche car leur vie peut être menacée. Et de nombreux check-point sont installés.

En témoigne cette scène au premier contrôle. Le militaire fait le tour de notre véhicule, contrôle nos passeports et se rend compte qu'il y a, à bord, une "peau claire". Il s'agit de ma collègue Mayssa. Nous lui montrons nos autorisations de circuler. Malgré le document, il souhaite une confirmation de sa hiérarchie. Après quelques coups de fil, nous pouvons circuler. Nous mettons le cap sur Mangaze .

Nous arrivons au camp de réfugiés de Mangaze. Ce camp géré par l'UNHCR et l'État nigérien, d'une capacité d'accueil de 10 000 personnes, compte déjà plus de 4600 réfugiés qui ont fui le Mali. La plupart venant des villes de Ménaka ou Kidal. 

60 % des occupants sont des femmes et des enfants. Nous rencontrons Roukaya, de Kidal. Elle a fui la ville avec ses 5 enfants. Elle parle peu mais nous raconte qu'elle a fui les menaces de frappes qui pesaient sur la ville. Laissant derrière elle son mari chargé de protéger leur maison et leurs animaux.

Mercredi 30 janvier : l'aéroport de Kidal contrôlé par les Français

Les événements se précipitent côté malien. Menaka n'est plus en top story. Les Français ont pris l'aéroport de Kidal dans la nuit. Le responsable tchadien chargé de la communication nous dit qu'un départ vers le Mali est toujours possible par la route. Mais nous sentons bien que les choses traînent. Cette attente commence à susciter un peu d'impatience au sein des journalistes.

Nous demandons à voir les troupes tchadiennes stationnées en appui à Niamey. Officiellement plus de 6 000 soldats africains et 2 000 tchadiens sont mobilisés aux côtés des Français.

Un officiel tchadien m'explique que le Tchad s'est engagé dans cette guerre pour tout d'abord aider le Mali à recouvrir son intégrité territoriale, mais aussi pour protéger son propre territoire.

Le Tchad a 1 200 kilomètres de frontière poreuse avec la Libye. Il ne souhaite donc pas voir de djihadistes envahir ses terres. Et d'ajouter au sujet du nombre élevé de soldats déployés : "On n'est pas venu ici pour se faire humilier par une bande de trafiquants".

En effet, sur le terrain, ils sont impressionnants .

Petite démonstration de force devant notre caméra, et un détachement prend la route de Ouallam, au nord de Niamey, avec leurs blindés légers. Mais sans journalistes. Les Tchadiens nous assurent encore une fois qu'un départ est pour bientôt. À cette heure, on n'y croit plus.

Mardi 29 janvier : une longue journée à Niamey

5 heures du matin, réveil pour l'aéroport militaire de Niamey où nous attend un avion tchadien pour se rendre à Ménaka, une ville malienne située à 300 kilomètres de Niamey.
Les Tchadiens y ont des troupes stationnées.

Pas le temps de traîner car les Tchadiens nous assurent que l'avion doit décoller à 7 heures précises. Sur place, le ministre de la Communication du Tchad Hassan Syllabakari ainsi que quelques journalistes. L'avion qui doit nous conduire à Ménaka est petit, donc plusieurs rotations sont prévues. Il est 7 heures, les pilotes ne sont pas encore là.

Au même moment, je tombe sur ce panneau au pied des pistes qui indique : "La sécurité des vols est un état d'esprit, tâchons de l'acquérir". Et là, dans sa tête, on se dit : "On y va, ou on n'y va pas ?!".

Une heure plus tard, tout semble fin prêt.

9h30 : une première équipe s'en va. Ma collègue, Mayssa Awad et moi sommes censés être dans la deuxième rotation. Les heures passent et à la mi-journée, pas de nouvelles de l'avion. Petite inquiétude au sujet des confrères qui ont embarqué les premiers.

Notre fixeur a une idée de ce qu'il s'est passé. Il est convaincu que l'avion a été dérouté sur Gao. Il appelle ses contacts sur place et ces derniers lui confirment que l'avion s'est bien posé dans la ville malienne et non à Ménaka comme initialement prévu. La raison : le pilote n'aurait pas trouvé la piste (sic). Se pose donc la question de savoir si nous optons malgré tout pour un départ pour Gao.

À l'évidence, l'histoire se déroule un peu plus au Nord. Gao ayant été reprise 4 jours plus tôt. Et puis une autre équipe de FRANCE 24 se trouvant à Gao, cela ne servait à rien d'être deux sur place.

Les Tchadiens nous assurent à ce moment-là que nous pourrions nous rendre à Ménaka par la route, escortés par une de leurs colonnes. Nous attendons le feu vert, qui en fin de journée... ne vient toujours pas.

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