Alors que les forces franco-maliennes contrôlent la "boucle du Niger" et que Paris entend désormais laisser l'initative aux troupes africaines, les regards se tournent vers la région de Kidal, où les groupes islamistes armés se seraient réfugiés.
- Les militaires quadrillent Tombouctou
Tombouctou est, depuis lundi, sous le contrôle des forces franco-maliennes. L’entrée de la ville s’est effectuée sans qu’il "y ait eu aucun coup de feu, aucune goutte de sang, même pas de résistance passive avec des pièges", selon le colonel français Frédéric Gout, chef de l'opération héliportée sur Tombouctou.
"Tombouctou est la ville martyre, l’agglomération qui a souffert le plus", rappelle Matthieu Mabin, envoyé spécial de FRANCE 24 au Mali embarqué avec les forces françaises sur le front du Nord-Mali. "Nous avons la sensation que les citoyens de Tombouctou ont considérablement souffert de sanctions corporelles terribles, de véritables traumatismes. La terreur régnait." C’est à la mesure de ces souffrances qu’une "entrée triomphale" a été réservée aux forces franco-maliennes. "Les militaires maliens, juchés sur leur pick-up ont été ovationnés par la totalité de la population de Tombouctou", rapporte Matthieu Mabin.
itLundi soir, tout était calme dans Tombouctou plongée dans l’obscurité, a pu constater l’AFP. L’électricité a été coupée, tout comme le réseau téléphonique, en raison de sabotages des islamistes (lire le reportage de RFI). Dans Tombouctou même, "on procède à des fouilles (...). On est en train de récupérer certains matériels, certaines munitions", indique à l’AFP le sous-lieutenant malien Dramane Dambélé. "On cherche des gens qui étaient en connexion avec les islamistes, mais on n'en a pas trouvé pour l'instant". Les militaires maliens occupent la ville, tandis que les Français se sont repliés dans les faubourgs où ils ont installé des postes de contrôle. "On entre mais on ne reste pas, ce sont les Maliens qui vont au contact de la population", explique un officier français à l’AFP.
À Tombouctou, les militaires français l’avouent : "Le prochain objectif n'est pas vraiment défini", confie à l'AFP la lieutenant Marie Lechevin. Le président français François Hollande a précisé lundi que "les Africains peuvent prendre le relais et [que] ce sont eux qui iront dans la partie du Nord. Nous savons que c’est la plus difficile, parce que c’est là que les terroristes se sont cachés".
itLa région de Kidal est "difficile d’accès, très montagneuse, il faut beaucoup de moyens pour combattre dans cette région et les troupes africaines seules ne peuvent pas le faire", estime pour sa part Serge Daniel, correspondant de FRANCE 24 et de RFI au Mali.
it- Des manuscrits brûlés par les islamistes en fuite
Si les soldats des forces franco-maliennes n'ont rencontré "aucune résistance" à Tombouctou, c'est que "tous les djihadistes avaient quitté la ville depuis certainement quelques temps", explique un colonel français interrogé par l’AFP. "Ils étaient partis ailleurs et je suppose qu'ils sont en train de se regrouper vers le Nord".
Selon une source de sécurité malienne qui s’est confiée à l’AFP, les principaux responsables des groupes armés, Iyad Ag Ghaly, chef d'Ansar Dine (Défenseurs de l'islam) et l'Algérien Abou Zeid, l'un des émirs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), se sont réfugiés dans les montagnes de Kidal, à 1500 km de Bamako, où des positions islamistes ont été bombardées samedi par des avions français.
itDès vendredi, avant de prendre la fuite, les islamistes armés "ont mitraillé dans tous les sens, mais c'était juste de l'intimidation. Ils ont aussi saccagé beaucoup de choses, la mairie, l'antenne Malitel [l'opérateur téléphonique local, NDLR], certains bureaux. Et ils ont brûlé des manuscrits anciens", explique à l’AFP Mahamoudou Tandina, 46 ans.
Le centre Ahmed Baba, qui abritait entre 60 000 et 100 000 manuscrits, a été particulièrement touché par un incendie. Situé au cœur de la ville, ce centre avait récolté, depuis des années, des milliers de documents, dont certains très anciens. Ces manuscrits venaient de toute l'Afrique de l'Ouest. Il n'en reste qu'un tas de cendres et quelques boîtes en carton éventrées puis jetées au sol, a pu constater un envoyé spécial de RFI.
itD’après les témoignages recueillis par RFI, "ce qui n'a pas été détruit a été emporté". Autrement dit, certains manuscrits ont été volés par les islamistes. Ils ont une valeur historique, mais aussi une valeur marchande.
- Kidal repris par le MNLA, crainte d'exactions
Alors que Français et Maliens contrôlent désormais la "boucle du Niger" et les deux principales villes du Nord-Mali, Tombouctou et Gao, la troisième ville stratégique du Nord, Kidal, située non loin de la frontière algérienne, à l’extrême nord-est du pays, serait aux mains du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), groupe rebelle touareg anciennement allié aux insurgés islamistes. L’information n’était cependant pas confirmée lundi en fin de journée par le ministère français de la Défense.
Le MNLA assure ne pas rechercher la confrontation avec l'armée française ni avec les militaires africains, mais vouloir empêcher "les exactions de l'armée malienne". Lundi, la procureur de la Cour pénale internationale (CPI), la Gambienne Fatou Bensouda, a mis en garde les autorités maliennes : "Mon bureau est informé de ce que les forces armées maliennes auraient commis des exactions dans le centre du Mali ces derniers jours", a déclaré la procureur dans un communiqué (lire notre interview avec le responsable Afrique de la FIDH).
D’après Jean-Philippe Rémy, envoyé spécial du quotidien Le Monde, les "peaux blanches", Arabes Berabiches et Touareg ont déjà quitté la ville de Tombouctou. Le MNLA a souhaité être associé à cette "sécurisation" des zones reprises à ses alliés de l'année passée, rappelle le quotidien. À ce jour, sa demande n'a pas abouti.
- La position des États-Unis : diplomatie et drones au Niger
"Les problèmes du Mali doivent trouver une solution qui ne soit pas purement sécuritaire. On doit avoir, en parallèle, une voie sécuritaire et une voie politique. Le retour à la stabilité au Mali implique de nouvelles élections qui renversent le résultat du coup d'État" de mars 2012 à Bamako, a déclaré lundi la porte-parole du département d'État américain, Victoria Nuland.
Washington plaide depuis des mois pour une "approche globale" sur le Mali : lutte contre les islamistes armés dans le Nord, retour d'un gouvernement démocratiquement élu d'ici à avril 2013 à Bamako et règlement du sort des Touareg et de la crise humanitaire.
Le Pentagone compte cependant renforcer son influence dans la région : la Défense américaine envisage de stationner des drones de surveillance au Niger pour augmenter le recueil de renseignements sur les activités d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans la zone sahélienne, d’après une information de l’AFP et du New York Times. Selon le quotidien américain, près de 300 soldats américains pourraient ainsi être déployés au Niger pour manier ces drones.
De son côté, le Royaume-Uni a proposé, ce mardi, d'envoyer jusqu'à 240 formateurs militaires en Afrique de l'Ouest, dont une quarantaine au Mali. Londres deviendrait alors le premier pays occidental à épauler Paris par une présence sur le terrain. Il s'agirait, en l’occurrence, d'entraîner les troupes des pays d'Afrique de l'Ouest chargées de prendre le relais pour combattre les islamistes.
- Le FMI et le Japon promettent d’injecter de l’argent au Mali
Lors d'une conférence à Addis Abeba (Éthiopie), ce mardi, des représentants de l’Union européenne, de la Banque mondiale, et de différents donateurs internationaux tentent de débloquer les moyens de financer la stabilisation du Mali - avec pour objectif de trouver au moins 460 millions de dollars.
itDes diplomates estimaient ces derniers jours à 700 millions de dollars le besoin total en financement de la Misma et de l'armée malienne, mise en déroute par l'offensive des insurgés islamistes qui avaient conquis tout le nord du Mali l'an dernier.
Le FMI a versé lundi 18,4 millions de dollars à Bamako pour faire face à l'instabilité dans le pays. Le but de cette aide est aussi de convaincre les donateurs internationaux de reprendre leur aide, gelée depuis le coup d'État de mars 2012 qui a précipité le Mali dans le chaos.
Le Japon s'est déjà engagé, ce mardi, à verser 120 millions de dollars pour le Mali et le Sahel, quelques jours après la mort de dix Japonais dans une prise d'otages en Algérie. De son côté, la France apportera une aide militaire logistique de 47 millions d'euros à la force africaine déployée au Mali et à l'armée malienne qui combattent les insurgés islamistes, a annoncé à Addis Abeba le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius.