Pour comprendre ce qui se joue actuellement en Égypte, où les violences ont fait une cinquantaine de morts ces derniers jours, FRANCE 24 a interrogé Masri Feki, chercheur en géopolitique à Paris VIII et spécialiste du pays.
Deux ans après la révolution, la rue égyptienne est toujours en ébullition. Les contestations contre le pouvoir incarné par le président Mohamed Morsi, issu des Frères
musulmans, se multiplient, à l’instar des violentes manifestations dans lesquelles une cinquantaine de personnes sont mortes en Égypte depuis le 24 janvier. La présidence a décrété l'état d'urgence dans trois provinces du pays et a appelé l’armée à la rescousse pour ramener le calme. De son côté, la principale coalition de l'opposition égyptienne a rejeté, lundi 28 janvier, l'appel du président Morsi à un dialogue national. Elle a même appelé à manifester vendredi à travers toute l’Égypte.
Pour comprendre ce qui se joue actuellement dans ce pays, FRANCE 24 a interrogé Masri Feki, chercheur en géopolitique à Paris VIII et spécialiste de l’Égypte.
FRANCE 24 : Deux ans après la chute de Hosni Moubarak, le sang coule toujours en Égypte. Est-ce, selon vous, le signe d’une révolution ratée ?
Masri Feki : Les évènements violents enregistrés ces derniers jours partout dans le pays démontrent surtout que le président Morsi et les Frères musulmans sont incapables de diriger l’Égypte. Ils n’ont pas réussi à stabiliser le pays : la société est plus divisée que jamais, le tourisme reste en panne, les investisseurs étrangers sont inquiets et l’économie est en faillite. La confrérie continue d’agir comme un parti et fonctionne toujours selon ses propres intérêts sans pouvoir œuvrer dans celui de tous. Confrontés à la réalité, les Frères musulmans sont désavoués par la rue. Et ce, alors que la révolution a atteint certains de ses objectifs - élections démocratiques, lutte active contre la corruption et liberté des médias - même s’il faut rester prudent. Reste que le climat de désespoir général favorise le déclenchement de la violence, comme le prouvent les évènements meurtriers survenus à Port-Saïd.
L’opposition qui a refusé, ce lundi, l’offre de dialogue du président Morsi, semble désormais à même de peser sur le pouvoir…
M.F. : L’opposition n’a jamais été aussi puissante en Égypte, notamment parce qu’elle a enfin réussi à unifier ses rangs en tirant les leçons du passé récent. Elle semble être arrivée à maturité après une période de chaos. Désormais, elle rassemble notamment en son sein des communistes, des nationalistes, des démocrates-libéraux, des partis de gauche et des nassériens. Elle a même réussi à s’adjuger le soutien du clergé copte, une première historique pour une église qui, tout au long de son histoire, s’était toujours abstenue de se prononcer contre le pouvoir en place. Résultat : la scène politique est bipolarisée entre l’opposition et le camp islamiste, qui est également solidaire et uni, puisque les Frères musulmans peuvent compter sur le soutien des autres mouvements islamistes et les salafistes. Par conséquent le président Morsi, déclaré vainqueur de la présidentielle de juin avec un peu plus de 51 % voix, ne peut plus prétendre représenter la majorité des Égyptiens, car tous ceux qui ont voté pour lui par défaut, comme la gauche, sont désormais dans la rue.
L’opposition a-t-elle une carte à jouer à quelques mois des législatives ?
M.F. : En refusant le dialogue, l’opposition place les Frères musulmans devant leurs responsabilités : la voie de la force ou les concessions. En multipliant les appels à manifester, elle met une pression considérable sur la présidence. En exigeant la formation d’un gouvernement d’union nationale et une commission pour amender la Constitution [cette dernière, rédigée par une commission dominée par les islamistes, a été approuvée à près de 64% de la population, au terme d'un référendum entaché d'irrégularités selon l’opposition, NDLR], elle ne fait que demander que la représentativité de la société égyptienne et la légalité soient respectées afin d’apaiser les esprits. Pour résumer, en jouant la carte de la légalité et en exploitant les erreurs successives du président Morsi, l’opposition semble avoir trouvé la bonne formule. Reste à valider tous ces progrès dans les urnes, lors des législatives du mois d’avril.