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Le prochain gouvernement israélien passera par le centre

, envoyé spécial à Tel Aviv – Sorti affaibli des législatives du 22 janvier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou devra composer avec des forces politiques disparates, dont les centristes de Yaïr Lapid (gauche), pour former une coalition gouvernementale.

La formation du prochain gouvernement israélien se présente comme un casse-tête pour le premier concerné : Benjamin Netanyahou, qui bien qu’affaibli, voire même humilié, demeure le mieux placé pour le diriger. Freddy Eytan, ancien ambassadeur et proche du Premier ministre, reconnaît que "Bibi" est secoué : "Il a reçu un carton jaune, mais il reste dans la partie". Le chef de l’État, Shimon Peres, lui confiera très probablement la responsabilité de constituer une coalition avec mission de réussir avant la fin de la semaine prochaine. Dix jours ne seront pas un luxe.

La seule certitude, de l’avis général, est que Yaïr Lapid, leader du parti centriste "Yesh Atid", la révélation de cette élection, fera forcément partie de la coalition gouvernementale. Selon des sources proches du Likoud, Netanyahou lui aurait déjà proposé au moins trois portefeuilles importants : Intérieur, Éducation et Affaires étrangères. Lapid a l’intention de prendre son temps avant de donner sa réponse. Il sait qu’il n’a plus à faire à ce "roi d’Israël" que dépeignaient les médias il y a encore quelques jours, mais à un politicien qui a vu brutalement se rapprocher l’heure de sa retraite. À partir de ce bloc de 50 députés dans la nouvelle Knesset, plusieurs scenarii sont possibles pour faire l’appoint (il faut au moins 61 sièges pour être à l’abri d’une censure) :

Premier scénario : constituer une coalition de droite "dure" avec les partis religieux, mais surtout avec "Habayit Hayeoudi" (le "Foyer juif") de Naftali Bennett, qui défend essentiellement les intérêts des colons, même si ce parti modernisé a rassemblé au-delà de cette catégorie qui pèse à peine 4% de la population.

  • Problème numéro 1 : les relations entre Naftali Bennett et Netanyahou sont exécrables. Après une courte lune de miel entre les deux hommes, l’aîné considère désormais son cadet comme un "péteux" arrogant et imprévisible. Une source au Likoud confirme qu’il est d’ailleurs le seul leader que le Premier ministre n’a pas appelé mardi soir, après l’annonce des premiers résultats. Mais la politique oblige souvent à bien des compromis, d’autant que Netanyahou a besoin d’alliés.
  • Problème numéro 2 : Bennett risque d’avoir des relations encore plus tendues avec Lapid, ce dernier s’étant souvent dressé contre les colons qui coûtent cher à l’État, et en particulier aux classes moyennes, sa principale clientèle. Les deux hommes sont en revanche d’accord pour mettre fin aux privilèges de conscription des ultra-orthodoxes.
  • Problème numéro 3 : L’hypothèse d’un gouvernement sans les partis ultra-orthodoxes, avec pour tâche prioritaire de moderniser la société, séduit largement les Israéliens laïques de gauche et de droite. Mais Netanyahou craint de se priver de ces partis clientélistes qu’il considère comme des partenaires naturels et malléables. Les grands rabbins préfèrent être à l’intérieur de la coalition plutôt qu’à l’extérieur. Dans ce cas, avaleront-ils la pilule "laïque" ?

Malgré tous les obstacles, l’hypothèse d’une coalition allant des centristes de Lapid à la droite dure de Bennett reste la plus probable, selon plusieurs observateurs, dont Dany Sheikh, ancien ambassadeur en France. Mais il reste une inconnue majeure : hormis sur Jérusalem, considérée par Lapid et Bennett comme devant faire partie intégrante d’Israël, les deux hommes ont des points de vue opposés sur la colonisation. Quelle ligne suivra le futur gouvernement ? Et y en aura-t-il une ? Nul ne le sait, et en tout état de cause le seul qui soit éventuellement capable d’infléchir Netanyahou sur ce sujet ne se présentait pas à cette élection. Il s’appelle Barak Obama.

Deuxième scénario : Pour compenser le poids de Bennett, voire pour le marginaliser complètement, le chef du Likoud peut "bricoler" en proposant quelques maroquins secondaires à Shaoul Mofaz du parti centriste Kadima, si cette formation, balayée hier, réussissait in extremis à obtenir un ou deux sièges, ce qui n’est pas encore confirmé. Puis, poussant encore plus loin vers la gauche, en attirant son ancienne rivale, Tzipi Livni. Elle n’a guère brillé dans ce scrutin, mais paraît néanmoins satisfaite d’avoir échappé au sort de Kadima et surtout de voir "Bibi" prendre une claque. Se montrant souriante devant ses troupes hier soir, elle paraissait disponible pour jouer les mouches du coche. Mais elle n’obtiendrait sûrement pas un poste important, en rapport avec son expérience et son réseau international.

  • Problème : Livni, et dans une moindre mesure Mofaz, ont fait du retour à la table des négociations avec les Palestiniens la priorité de leurs priorités. Ont-ils l’un comme l’autre intérêt à entrer dans une équipe sans être certains de vraiment y peser ? Dany Sheikh, qui a participé à la campagne de Livni, estime qu’elle n’entrera pas à n’importe quelle condition dans une coalition : "Elle n’aura pas peur de rester dans l’opposition pour consolider un parti qui n’existait pas il y a encore deux mois !" De la même manière, Netanyahou se résignera-t-il à s’appuyer sur des partenaires aussi récalcitrants, surtout s’ils détiennent un droit de vie ou de mort sur son gouvernement ? Pour le politologue Denis Charbit, de l’Université de Tel Aviv, le Premier ministre peut "réveiller sa facette pragmatique et sera prêt à beaucoup de concessions pour se maintenir au pouvoir."

La principale leçon de ce scrutin, telle que tirée par Herb Keinon, l’éditorialiste du quotidien anglophone "Jerusalem Post", fait consensus : les électeurs ont surtout réclamé des changements en politique intérieure, et sont sans illusion sur la possibilité de ressusciter un processus de paix moribond. Sur cette base, Netanyahou peut bâtir un consensus assez large.

De fait, pour relancer la négociation israélo-palestinienne, seul un troisième scénario, considéré comme impossible il y a tout juste 24 heures, présenterait quelques espoirs : si pour une raison ou pour une autre Netanyahou devait échouer dans sa tentative ô combien difficile de former un nouveau gouvernement, Shimon Peres pourrait se tourner vers Lapid et vers la travailliste Shelly Yacimovitch afin qu’ils bâtissent une coalition de centre-gauche, avec alternance au poste de Premier ministre. Il faut beaucoup d’imagination pour l’envisager – et le chef de Yesh Atid a déjà exclu la formation d’un front anti-Netanyahou –, mais rien n’est impossible quand il s’agit de politique israélienne.