En nommant au secrétariat à la Défense le républicain Chuck Hagel, Barack Obama s’attire les foudres de tous les bords politiques et d’un électorat qui lui était jusqu’à maintenant fidèle : les juifs et les homosexuels.
Après s’être battu avec les républicains sur les impôts, les dépenses publiques ou la candidature de Susan Rice - qu’il avait envisagée pour remplacer Hillary Clinton au secrétariat d’État avant de lui préférer John Kerry -, Barack Obama s’apprête à mener sa nouvelle bataille post-électorale.
En proposant le secrétariat à la Défense au républicain Chuck Hagel, ancien sénateur du Nebraska et vétéran du Vietnam, Barack Obama choisit un esprit libre qui critique sans se cacher les sanctions contre l’Iran et le "lobby juif ". Mais la liberté a un prix et son choix soulève des aigreurs de toutes parts.
Côté démocrate, certains s’indignent qu’Obama ait choisi un républicain pour remplacer Leon Panetta à la tête du Pentagone ; côté républicain, d’autres s’agacent de voir Hagel, qu’ils considèrent au mieux comme un conservateur déloyal, associé à leur parti. Les lobbies pro-israéliens estiment, eux, que le soutien d’Hagel à l’allié israélien est trop mitigé. Et les activistes de la cause homosexuelle, enfin, sont sur leurs gardes depuis qu’Hagel a critiqué l’homosexualité de l’ambassadeur américain au Luxembourg en 1998.
"La décision d’Obama de nommer Hagel malgré les critiques de la gauche et de la droite renforce l’idée que le président ne reculera pas devant les polémiques durant son second mandat", remarque Thomas Mann, politologue pour le think tank américain Brookings Institution.
Un allié peu commun
Chuck Hagel n’en est pas moins un choix qui tombe sous le sens pour Obama qui persiste à se considérer comme un "outsider" en politique. Décoré deux fois du très reconnu Purple Hearts à son retour du Vietnam, Hagel est resté ensuite un électron libre au sein de son parti, notamment pendant son mandat de sénateur de 1996 à 2009 dans son Nebraska natal.
S’il s’était déclaré favorable à l’offensive irakienne en 2002, il est rapidement revenu sur ses positions pour s’en faire l’un des plus fervents critiques, se mettant à dos la plupart de ses collègues républicains. D’après Michael O’Hanlon, expert en Défense à la Booking Institutions, Hagel "n’a pas eu peur de défier le consensus adopté" à Washington sur les guerres en Irak, en Afghanistan, sur la perspective d'un conflit en Iran ou les relations avec Israël.
Hagel est devenu l’un des alliés les plus improbables d’Obama. Pendant la campagne de 2008, il l’a notamment accompagné dans sa tournée en Afghanistan, Irak, Jordanie et Koweït, le défendant contre son rival républicain John McCain qui avait qualifié son tour d'entreprise électoraliste. "Cette nomination illustre parfaitement la fidélité et la loyauté de Barack Obama à l’égard de Hagel", poursuit Michael O’Hanlon.
Par ailleurs, l’obédience politique de Hagel pourrait se révéler un atout stratégique pour assurer le succès de la politique militaire défendue par Barack Obama : la caution républicaine de Hagel sur le retrait d’Afghanistan ainsi que sur les coupes dans le budget de la Défense pourraient protéger Obama d’une attaque trop virulente de l’opposition.
Point de vue antagoniste sur Israël ?
Mais pour l’instant Hagel est loin d’être en odeur de sainteté dans son camp. Dans un entretien accordé au site d’actualité Politico le mois dernier, John McCain affirmait que "soutenir que Hagel est républicain est quelque peu difficile à avaler". Le sénateur Lindsay Graham a ajouté dimanche sur CNN qu’"Hagel a coupé ses liens avec le parti républicain depuis longtemps."
Selon ce dernier, Hagel a les "positions les plus controversées" à l’égard d’Israël jamais adoptées par un secrétaire à la Défense américain. En 2006, Hagel avait en effet déclaré que "le lobby juif intimide". Un déclaration qui fait tâche sachant que l’électorat juif est parmi les plus fidèles du camp démocrate : Obama a remporté environ 75% de son vote en 2008 et 70% en 2012.
L’influent Comité des juifs américains fait donc pression sur les sénateurs démocrates pour qu’ils s’opposent à cette nomination. Ed Koch, l’ancien maire de New York, a lui-même estimé que la nomination d’Hagel "conforterait le monde arabe dans l’idée que le président Obama cherche à mettre des distances entre Israël et son administration." Tel Aviv s’inquiète aussi de son côté. Un député israélien a déclaré mardi que les positions de Hagel étaient "sujet à caution".
Sans se laisser démonter, Hagel a répondu dans un journal du Nebraska qu’il "n’y a pas l’ombre d’une preuve que je sois anti-Israélien". Ses partisans balaient également l’accusation, rappelant qu’il était favorable à l’envoi de fonds destinés à l’armée israélienne et qu’il a appelé à un boycott international du Hamas.
"Si Israël avait jamais eu besoin d’un homme engagé dans la défense de son droit à exister, comme Hagel l’a toujours fait – mais qui n’en est pas moins persuadé que cela n’implique pas de soutenir la dérive destructrice de la colonisation israélienne et l’entêtement à rejeter la solution de deux Etats – c’est maintenant", a estimé l’éditorialiste du New York Times, Tom Friedman.
Les activistes de la cause crient à l’injustice
S’il est probable que le Sénat démocrate entérinera la candidature de Hagel, les militants pro-gay – qui ont fait campagne pour la réélection de Barack Obama – se sont aussi insurgés contre sa nomination. À l’origine de leurs inquiétudes, la remarque en 1998 de Hagel qui avait mis en doute la légitimité de l’ambassadeur de l’époque au Luxembourg parce qu’il était "ostensiblement gay".
Hagel s’est excusé depuis, déclarant le 21décembre : "mes remarques étaient insensibles. Elles ne reflètent pas ma pensée (...) Je m’excuse auprès des membres de la communauté LGBT américaine qui douteraient de mon engagement à défendre leurs droits. Je soutiens pleinement l’homosexualité ouverte dans l’armée et suis engagé auprès des familles de militaires LGBT."
Un certain nombre d’observateurs estiment donc que le choix de Barack Obama risque de le griller politiquement. Mais après une réélection convaincante, et un taux de popularité avoisinant les 55% à deux semaines du début de son second mandat, le président américain prouve qu’il a du capital à brûler et une détermination plus vive que jamais à imprimer sa griffe sur la scène internationale.