Encore sous le choc de la tentative d’assassinat par les Taliban de la jeune blogueuse Malala Yousafzai, le Pakistan reste l’un des pays les plus dangereux pour les journalistes, menacés par les islamistes comme par l'armée.
En novembre 2012, Hamid Mir, l’un des journalistes vedettes du Pakistan, échappe à la mort de justesse. Un demi-kilo d’explosif avait été dissimulé sous son véhicule mais, repérée à temps, la charge avait pu être désamorcée. Au Pakistan, la liberté d’expression se paye au prix de la vie.
Le journaliste avait entre autre dénoncé la tentative d’assassinat de la blogueuse de 14 ans Malala Yousafzai, blessée par balles en octobre dernier. Tehrik-i-Taliban Pakistan, la branche pakistanaise des Taliban, avait revendiqué les faits et lancé un avertissement à l’encontre de tous les jeunes qui prendraient l'exemple de la jeune fille.
Le Pakistan est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, pris en étau entre les Taliban qui multiplient les agressions et les forces de sécurité qui n’ont pas renoncé à leurs méthodes de harcèlement. Dix journalistes on été tués en 2011, huit en 2012. En 10 ans, 89 sont morts et les coupables courent toujours.
Selon le classement annuel de Reporters sans frontières de la liberté de la presse, le Pakistan se situe à la 151e place sur 179 pays.
La presse, cible des Taliban et de l’armée
Les intimidations sont quotidiennes pour ceux qui tentent d’informer de manière objective et indépendante. Et derrière ces menaces se dessinent bien souvent l'ombre des Taliban dont l’objectif est "de transformer le Pakistan en trou noir de l'information", selon l’expression d’Hamid Mir. "Les journalistes au Pakistan ne doivent pas critiquer les extrémistes. Ils ne doivent pas poser des questions sur eux ; ils ne doivent pas montrer les liens entre les extrémistes et nos services secrets", témoigne le journaliste sur l’antenne de FRANCE 24.
L’armée pakistanaise, notamment les services secrets (ISI et Military Intelligence), menace également les journalistes qui enquêtent sur les abus de pouvoir, les disparitions ou encore les exécutions sommaires, comme ce fut le cas lors de l’offensive militaire dans la vallée du Swat, fief taliban au nord du pays, en 2009.
"Media Town"
Le gouvernement lui-même veille au grain pour s'assurer le contrôle de l'information. "Il est extrêmement difficile d’enquêter sur le nucléaire, de révéler des liens entre les extrémistes et les services secrets ou de parler du budget de l’État. Si l’on aborde ces questions, on est rapidement qualifié d’ennemi d’État", estime Julien Fouchet, le correspondant de FRANCE 24 à Islamabad.
Pour échapper à la menace qui pèse sur la profession, il n’y a guère d’autres solutions que l’exil, le renoncement ou… la corruption. Les autorités pakistanaises distribuent leurs faveurs sans compter à des journalistes qui acceptent de taire de trop gênants scandales. Mushtaq Ghumman, journaliste pakistanais qui travaille pour le quotidien "Business Recorder", fait par exemple partie des 1 200 journalistes détenteurs de la carte de presse "officielle" qui vivent à Media Town, le bien nommé quartier d’Islamabad. Les autorités pakistanaises y cèdent des terrains à des prix dérisoires aux journalistes de presse écrite, de télévision ou aux photographes.
"Pourquoi il n'y aurait que ceux qui travaillent pour le gouvernement qui recevraient des terrains ? On est des citoyens aussi, on a les mêmes droits", explique sans une once d'ironie ni de remords Mushtaq Ghumman, qui ne voit pas où est le mal. Certains de ses collègues ont eux préféré spéculer sur le cadeau de l’État. "Certains ont revendu leur terrain pour 50 000 euros. On est vraiment plein de gratitude envers le gouvernement qui nous a donné ces terrains", poursuit Mushtaq Ghumman.
La déontologie enseignée dans les écoles de journalisme ne fait pas le poids dans un pays où le salaire mensuel moyen des journalistes avoisine les 200 euros.
L’existence d’un contre-pouvoir
Un contre-pouvoir de plus en plus efficace se met néanmoins en place aujourd’hui au Pakistan. La Cour suprême d’Islamabad a notamment défié en octobre les puissants généraux pakistanais, jugeant que l’armée et les renseignements devaient cesser de se mêler de politique. Elle continue depuis à demander des comptes à l’armée pour des affaires de corruption, d’arrestations arbitraires ou d'exécutions sommaires.
"Même s’ils n’enquêtent pas, les journalistes couvrent abondamment les travaux de la Cour suprême et jouent ainsi un rôle fondamental dans le jeu démocratique pakistanais", conclut Julien Fouchet.
L’Union fédérale des journalistes du Pakistan (PFUJ) dénonce quant à elle régulièrement les conditions salariales des professionnels des médias qui affaiblissent l’indépendance de la profession, tandis que les dizaines de télévisions et de radio privées couvrent de manière de plus en plus agressives les problèmes politiques et socio-économiques du pays, malgré des dangers persistants.