Accusé de mener une politique sectaire, le Premier ministre irakien, le chiite Nouri al-Maliki, est confronté à une vive contestation de la communauté sunnite depuis plus de dix jours. Il a menacé mardi de recourir à la force.
Nouri al-Maliki durcit le ton. Alors que l’Irak est secouée par de vives manifestations sunnites depuis plus d’une semaine, le Premier ministre irakien a consenti, mardi, à faire un geste en direction des contestataires, tout en affichant un discours de fermeté. "Ne croyez pas qu'il soit difficile pour le gouvernement de prendre des mesures contre vous", a-t-il lancé après avoir annoncé, la veille, la libération de plus de 700 femmes détenues pour tenter d’apaiser la colère des manifestants sunnites, une communauté minoritaire dans le pays. "Nous avons été très patients avec vous, mais ne vous attendez pas à ce que cette situation dure éternellement", a-t-il insisté.
À l’origine de ce mouvement de protestation, l’arrestation pour "terrorisme", le 20 décembre, d'au moins neuf gardes du ministre des Finances, Rifaa al-Issawi, un sunnite. Les manifestants accusent ainsi le pouvoir, dominé par les chiites, d'abuser de la législation antiterroriste contre la minorité sunnite.
Depuis, les régions sunnites sont en ébullition, notamment les villes de Ramadi et de Samara, dans l’ouest et dans le nord du pays. Scandant le slogan emblématique des révolutions arabes, "Le peuple veut la chute du régime", les manifestants n’hésitent pas à bloquer depuis plus de 10 jours, le principal axe routier est-ouest du pays, reliant la capitale à la Jordanie.
it"Une confessionnalisation" du pouvoir depuis 2003
Depuis le départ des forces américaines, il y a un an, le pouvoir est partagé de manière informelle entre les différentes communautés du pays. La présidence revient à un Kurde, le poste de Premier ministre à un chiite - la confession majoritaire en Irak -, les sunnites ayant la vice-présidence ainsi que quelques portefeuilles ministériels. Pour Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak et chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po (Ceri), on assiste à "une confessionnalisation très nette du pouvoir en Irak depuis 2003", date de l’intervention des troupes américaines pour renverser le régime de Saddam Hussein.
En décembre 2011, le Premier ministre avait déjà attisé les tensions en ordonnant l'arrestation du vice-président sunnite, Tarek Hachémi, accusé de diriger des escadrons de la mort. Ce dernier, qui réfute toutes les accusations contre lui, est actuellement réfugié à l'étranger. Mais, selon la chercheuse, "ces sunnites, souvent associés à l’ancien régime baasiste, sont mis à la marge. Cela se concrétise, dans les faits, par le mandat d’arrêt contre Hachémi et sa condamnation à mort, mais aussi par diverses mesures prises par Maliki contre certains responsables ou notables sunnites".
"Les sunnites ont le sentiment d’être assiégés dans ce nouvel Irak qu’ils dirigeaient par le passé", observe Myriam Benraad. "Ils associent la communauté chiite à l’Iran, qu’ils rejettent, et accusent ainsi le régime d’être sous l'influence de Téhéran", poursuit-elle.
Maliki critiqué également au sein de sa communauté
Reste que le Premier ministre Maliki n’est pas uniquement contesté par les sunnites, il est également confronté à une farouche opposition au sein même de sa communauté, en la personne de l’imam chiite Moqtada al-Sadr. Le mouvement du puissant et populaire leader religieux est fort de 40 députés au Parlement et compte cinq ministres au sein du gouvernement. Moqtada al-Sadr a rapidement apporté son soutien aux manifestants sunnites en prédisant l'avènement d'un "Printemps irakien, si les choses restent en l'état", en référence au Printemps arabe qui a secoué la région. "Les manifestations vont se poursuivre tant que les gens ne seront pas satisfaits des politiques menées", a ajouté, mardi, Moqtada al-Sadr lors d'une conférence de presse.
"Le bras de fer entre les sadristes et Maliki a commencé en 2008, au moment du siège de Bassorah, lors duquel Maliki avait envoyé l’armée pour réprimer les sadristes", rappelle Myriam Benraad. "Depuis, ces derniers sont dans une position de faiseurs de roi", estime-t-elle. "Ils oscillent entre alliance avec le régime et opposition. L’imam chiite accuse Nouri al-Maliki de mener une politique sectaire et se revendique du nationalisme irakien. Très populaire chez les chiites, Moqtada al-Sadr l’est aussi auprès des sunnites a qui il a prêté main-forte, notamment en 2004 lors du siège de Falloujah, dans leur soulèvement contre les Américains", poursuit-elle.
Les tensions confessionnelles ne sont pas un fait nouveau en Irak, souvent secoué par des attentats intercommunautaires. Elles ont connu un pic en 2006-2007. À l'époque, une vague de violences avait fait des dizaines de milliers de morts.
Avec dépêches