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L’opposant ElBaradei estime que les islamistes égyptiens "perdent du terrain"

Alors que les Frères musulmans revendiquent une large victoire du "oui" au référendum sur la nouvelle Constitution égyptienne, l'opposition se penche déjà sur l'avenir. L'opposant Mohamed ElBaradei répond aux questions de FRANCE 24.

Les résultats du référendum sur le projet de Constitution controversé en Égypte penchent, sans surprise, largement en faveur du oui, selon des chiffres officieux publiés par les Frères musulmans. L’opposant et prix Nobel de la paix, Mohamed ElBaradei, chef de file du Front de salut national, la principale coalition de l’opposition, admet que le texte va être adopté, dans un entretien accordé à FRANCE 24. Toutefois, il affirme que le pays est toujours divisé autour d’une Constitution "intrinsèquement illégitime". Estimant que les islamistes "perdent du terrain", il mise beaucoup sur une victoire de l’opposition lors des prochaines législatives.

FRANCE 24 : Selon des résultats officieux du référendum diffusés par les Frères musulmans, le projet de Constitution a été approuvé par 64% des voix. Que vous inspire ce résultat ?
Mohamed ElBaradei : La mauvaise nouvelle est que le pays est toujours profondément divisé et que nous sommes face à une Constitution intrinsèquement illégitime, puisqu’elle va à l’encontre des valeurs universelles fondamentales comme les libertés de religion et d’expression, mais aussi de l’indépendance du pouvoir judiciaire, des droits de l’Homme et de la démocratie. Mais la bonne nouvelle est que l’opposition s’unit, que les gens commencent à comprendre que le salut de l’Égypte ne passe pas simplement par des slogans religieux, ou par le remplacement d’un régime autoritaire par un autre régime autoritaire, enveloppé dans la religion. Les gens veulent que l’on réponde à leurs besoins vitaux. Dans les prochains mois, nous aurons des élections législatives et l’opposition, les libéraux, les chrétiens et tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce projet islamique auront, je l’espère, la majorité qui œuvrera pour changer cette Constitution.  
Le Front de salut national va-t-il faire appel des résultats, suite "à la fraude et aux irrégularités" qu’il a constatées ?
Nous allons très probablement faire appel parce qu’il y a beaucoup de rapports faisant état de trucage du scrutin et de manipulations majeures de ce processus. Nous allons utiliser toutes les mesures légales et pacifiques disponibles, mais en attendant nous allons continuer à aller vers l’électorat de base. C'est-à-dire les gens qui sont illettrés dans les campagnes, pour leur faire comprendre que nous avons un projet pour eux et que nous pouvons répondre à leurs besoins vitaux comme la santé et l’éducation. C’est un défi. Il y avait un sentiment que ceux qui craignent Dieu, c'est-à-dire qui viennent des milieux islamistes, ont une solution car ils se disent détenteurs d’un projet islamique. Mais ils perdent du terrain, car les gens commencent à comprendre, et ce, seulement en six mois, que la religion n’est pas une solution.
Le résultat aurait-il pu être différent si vous aviez commencé votre campagne plus tôt, sachant que l’avez lancée deux jours avant le premier tour du scrutin ?
Tout le processus a été expédié à la va-vite et dans le chaos total, depuis le début du soulèvement il y a presque deux ans, et suite à une mauvaise gestion par l’armée, puis par les Frères musulmans. Les questions de savoir comment la Constitution allait être rédigée et si on allait avoir un référendum, ce qui était un développement inattendu, manquaient de clarté. Il n’y avait pas de feuille de route claire. En outre, le président avait annoncé qu’il allait modifier la composition de l’Assemblée constituante afin de l’équilibrer. Or il n’a pas tenu sa promesse. Il faut comprendre également qu’après 60 ans de répression, la plupart des partis n’existent que depuis quelques mois.
La composition de l’Assemblée constituante n’est-elle pas cependant  le reflet du choix des électeurs, qui ont massivement voté pour les islamistes ?
Ils ont voté pour eux dans des circonstances particulières. Peu après la révolution, l’opposition commençait à peine à s’organiser en tant que partis politiques. Les Frères musulmans, quant à eux, travaillent sur le terrain depuis 80 ans. Par conséquent, ils sont parvenus à gagner la majorité, mais c’était au-delà de leur puissance réelle. Leur majorité ne fait que se réduire depuis un an et demi. Ils ont en effet perdu 15% des voix pendant cette période et c’est pour cela que nous espérons continuer à être unis et organisés, car nous pouvons gagner la majorité au Parlement. Nous avons des millions de volontaires et de jeunes qui ont participé à la révolution et qui ont l’impression qu’elle leur a été volée. Ils veulent changer le chemin que la révolution a emprunté. Ils vont se mobiliser pendant la prochaine campagne.