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Rapport Sicard : un pas vers le suicide assisté en France

Ce mardi, le professeur Sicard remet à François Hollande un rapport sur l’épineuse question de la fin de vie. Selon "La Croix", qui y a eu accès, il "entrouvre la porte au suicide médicalement assisté", mais se montre réticent sur l’euthanasie.

Le droit de "terminer sa vie dans la dignité" figurait à la 21e place des promesses de campagne de François Hollande. Un mois après son élection à la présidence française, il commandait un rapport au professeur Didier Sicard. Cinq mois plus tard, ce praticien réputé, ex-président du Comité consultatif national d’éthique, remet, en ce mardi 18 décembre, un long document au président de la République, dans lequel il envisage le recours au suicide médicalement assisté, mais se montre réticent à l’euthanasie, un "acte trop radical", selon le rapport cité par "La Croix".

"Dans les phases ultimes de l’accompagnement en fin de vie, lorsque la personne demande l’arrêt des traitements, la mission [Sicard] estime qu’il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort", estime, selon "La Croix", la mission composée de neuf membres, entrouvrant ainsi la porte au suicide médicalement assisté. L’assistance au suicide, "grave décision prise par un médecin engagé en conscience, toujours éclairée par une discussion collégiale", ne doit pas être "une solution proposée comme une alternative à l’absence de soins palliatifs et d’accompagnement", précise le rapport, mais pourrait être un "recours ultime" dont disposeraient les personnes en phase terminale d’une maladie incurable, qui en font la demande.

"Surdité face à la détresse psychologique"

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Jean Luc Roméro regrette la mainmise des médecins sur le rapport Sicard

Selon la mission Sicard, les dispositions légales actuelles concernant la fin de vie n’apporte que des réponses "essentiellement médicales", qui ne permettent pas de soulager "la souffrance psychique, qu’elle soit existentielle, l’expression d’une déchéance ou une dépression rebelle à tout traitement".

Aujourd’hui, en France, la loi Leonetti réglemente la question du droit des malades et de la fin de vie. Adoptée en 2005, elle a proscrit l’acharnement thérapeutique et instauré le droit au "laisser mourir", qui permet au patient, dans des cas précis, de cesser son traitement et de soulager la douleur par des sédatifs, au risque d’entraîner la mort. Mais depuis son vote, spécialistes et médecins ne cessent de dénoncer les difficultés d’application de cette loi, en raison du manque de structure et de personnel formé. La mission Sicard n’est pas en reste : elle critique sévèrement le monde médical, fustigeant notamment la "culture du tout-curatif" des médecins, la mauvaise prise en charge de la douleur malgré l’existence de traitements efficaces, et une "surdité face à la détresse psychique et aux souhaits des patients", explique "La Croix".

Méconnaissance de la loi

L’étude pointe également du doigt une méconnaissance de la loi Leonetti, qu’elle juge "sans visibilité, mal appliquée, voire inappliquée" et prône "un effort massif de formation", et des campagnes d’information. Selon un sondage Sofres commandé par le professeur Sicard, près de la moitié des Français ignorent les dispositions légales actuellement en vigueur en France. Ainsi, 48 % des Français pensent que la loi actuelle interdit l’arrêt des traitements vitaux, 47 % estiment que la loi interdit l’acharnement thérapeutique.

"Sept Français sur dix ne savent pas qu’il existe une loi sur la fin de vie avec un juste équilibre concernant les soins palliatifs. […] Il faut mieux appliquer cette loi et faire un effort majeur sur l’information", a confirmé mardi sur l’antenne de France Inter Vincent Morel, médecin et président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Jean-Luc Romero, président de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), lui aussi invité de l’émission, a souhaité qu'on légifère "maintenant" sur le suicide assisté. "Nous sommes contents enfin qu'une instance évoque [cette question, ndlr] mais qu'elle nous dise que c'est ‘maintenant’ et qu'elle ne la renvoie pas aux calendes grecques! Ce débat on l'a depuis 32 ans", s’est emporté ce fervent partisan de l’euthanasie.

Vingt ans de débat en France

Ces 20 dernières années, en France, de nombreux rapports et missions de réflexion sur la fin de vie ont été commandés par les gouvernements successifs. Le débat, très polémique, a été entretenu par plusieurs affaires judiciaires très médiatisées. La justice s’est d’ailleurs montrée relativement clémente concernant des personnes qui ont aidé - par compassion - des malades à mourir : dans la plupart des cas, les prévenus, ont, au pire, été condamnées à de courtes peines de prison avec sursis.
Deux affaires ont particulièrement ému l’opinion publique française. En 2003, Vincent Humbert, jeune homme devenu aveugle, muet et tétraplégique à la suite d’un accident de voiture, meurt, aidé par sa mère, Marie Humbert, et le médecin de la famille, le docteur Frédéric Chaussoy. La mise en examen de ces derniers, qui a abouti à un non-lieu, a suscité un vif émoi dans l’Hexagone. Quelques mois plus tard, le président de l’époque, Jacques Chirac, charge Jean Leonetti, médecin et député, d’effectuer une mission parlementaire sur l’accompagnement de la fin de vie. Elle aboutit au vote de la loi Leonetti en 2005.

Le combat de Chantal Sébire

En 2008, le combat de Chantal Sébire relance le débat sur l’euthanasie. Cette enseignante de 53 ans est atteinte d’une tumeur rare et incurable déformant son visage et occasionnant d’atroces souffrances. Elle perd peu à peu l’odorat, le goût et la vue. Elle écrit au chef de l’État d’alors, Nicolas Sarkozy, et entame une action en justice pour obtenir le "droit de mourir dans la dignité". Sa demande est rejetée par un tribunal de Dijon, qui, en vertu de la loi Leonetti, ne lui accorde le droit qu’à des soins palliatifs. Chantal Sébire est retrouvée morte deux jours plus tard à son domicile, après avoir absorbé une forte dose de barbituriques.

En Europe, rares sont les pays qui ont légalisé l’euthanasie active, c’est-à-dire l’administration, par une personne autre que le malade, d’un produit provoquant rapidement la mort d’un patient incurable qui en a émis le souhait. La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg se sont dotés de lois allant dans ce sens. En Suisse, l’aide au suicide est légale dès lors qu’elle est autorisée par un médecin. En revanche, en Grèce, Roumanie, Pologne et Irlande, toute forme d’aide à la mort est passible de lourdes peines de prison. Ailleurs en Europe, si l’euthanasie est interdite stricto sensu, des formes diverses d’aide à mourir sont autorisées, notamment l’arrêt de l’acharnement thérapeutique.

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