
Bitcoin, l'une des principales monnaies dématérialisées, se développe lentement, non sans heurt, depuis sa création en 2009. Elle vient de remporter une victoire grâce à un premier accord trouvé en France avec un établissement financier officiel.
Elle se développe lentement mais sûrement. Bitcoin, la monnaie dématérialisée présentée par ses défenseurs comme l’avenir du moyen de paiement en ligne et critiquée par d’autres comme offrant un havre aux blanchisseurs d’argent, vient d’effectuer un pas de géant vers une certaine normalité financière. Bitcoin-Central, la principale place européenne de change en ligne bitcoins/euros, a signé un accord, jeudi 6 novembre, avec Aqoba, un établissement de paiement français tout ce qu’il y a de plus officiel.
Une première mondiale qui permet aux “20 000 clients de Bitcoin-Central d’avoir un compte auprès d’Aqoba sur lequel se trouve les euros qui leur servent à faire les transactions sur Bitcoin-Central”, explique à FRANCE 24 Gonzague Grandval, fondateur de Paymium, la société française qui gère cette place de change en ligne.
Il n’y a ni Banque centrale ni planches à monnaie dans le système bitcoin. Cette devise est en fait une récompense. Il y en a un peu plus de 10 millions en circulation actuellement. Afin de recevoir des bitcoins, il faut accepter de mettre une partie de la puissance de calcul de son ordinateur au service de la résolution des sortes d’équations informatiques de plus en plus difficile. C’est ce qu’on appelle “miner” les bitcoins.
En théorie, le “mineur” laisse simplement son ordinateur travailler et résoudre le problème qui lui est soumis et lorsque la machine trouve la solution : eurêka, des bitcoins sont créés et lui sont reversés.
Mais en pratique, il est quasiment impossible pour une personne de “miner” dans son coin des bitcoins. Depuis la création de cette monnaie virtuelle, la difficulté des équations soumises à la communauté a tellement augmenté qu’en résoudre une prendrait plusieurs années à un ordinateur seul.
C’est pourquoi, il y a dorénavant des “fermes de minages” où plusieurs personnes mettent en commun la puissance de leurs ordinateurs afin d’accélérer le processus. Résoudre une équation rapporte, à l’heure actuelle, 25 bitcoins.
Ce système a été mis au point dès la création de cette monnaie afin d’en limiter le nombre en circulation. Pour une raison mystérieuse, le fondateur de Bitcoin - un internaute seulement connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto - a décidé qu’il ne pourrait jamais y avoir plus 21 millions de bitcoins en circulation. Un chiffre qui doit être atteint en 2030.
Pour Paymium, c’est une grande victoire. “Nous sommes désormais sûrs d’être 100 % dans la légalité”, se réjouit Gonzague Grandval. Toutes les autres places de change - il y en a plusieurs dizaines dans le monde - hébergent aussi les euros et autres dollars de leurs clients. “C’est-à-dire qu’ils font aussi en partie un travail de banquier ce qui peut poser des problèmes au regard de la législation dans certains pays”, reconnaît Gonzague Grandval.
Ces nouveaux clients d’Aqoba ne peuvent, ceci étant, pas faire tout et n’importe quoi avec leur compte. “C’est une forme de bancarisation 'light' qui constitue pour l’instant essentiellement une réserve d’argent très facilement accessible”, souligne à FRANCE 24 Thibault Lanxade, PDG d’Aqoba. Pas question, ainsi, de lier sa facture EDF, GDF ou France Télécom à ce compte.
Acheter sa baguette en bitcoin ?
Impossible aussi d’acheter sa baguette ou de payer les cadeaux de Noël de belle-maman depuis ce compte qui ne sert, pour l’instant, qu’à financer les transactions effectuées sur Bitcoin-Central. Pour l’instant, car cela risque de changer très vite. À partir de 2013, Aqoba veut “proposer une carte de paiement pour retirer de l’argent depuis ce compte ou payer ses courses”, affirme Thibault Lanxade.
Mais le dessein de Paymium est encore plus vaste. À terme, Gonzague Grandval veut que ses clients puissent payer n’importe quoi avec cette carte en utilisant les bitcoins dont ils disposent. “Nous effectuerons une conversion en temps réel, les bitcoins seront alors transformés sur le compte d’Aqoba en euros qui permettront de payer à la caisse”, anticipe le fondateur de Paymium.
Ce jour-là, Bitcoin aura atteint l'un de ses principaux buts : prouver au grand public son utilité comme moyen de paiement alternatif. “Cela permettra de donner confiance dans Bitcoin à des entreprises et des commerçants”, confirme à FRANCE 24 Amir Taaki, un développeur britannique du système Bitcoin.
Pour l’heure, cette monnaie électronique n’a pas encore percé auprès du grand public. Ils ne sont pas encore nombreux à l'utiliser dans le monde. Selon le juriste américain Reuben Grinberg, dans une étude réalisée en octobre 2011, ils ne seraient même que 20 000, tandis qu'une autre recherche, effectuée par le blogueur William Fleurant en janvier 2012 arrivait à 739 000 utilisateurs. Il y a, en outre, l'équivalent de 108 millions d'euros de bitcoins en circulation d'après le site Bitcoinwatch.
Les adeptes de cette monnaie électronique s’en servent essentiellement pour jouer sur les taux de change (un bitcoin valait 5 euros il y a six mois contre 10 euros aujourd’hui), et effectuer des micro-transactions sur certains sites qui acceptent cette monnaie. Outre des sociétés plus ou moins légitimes comme des sites de casino ou de paris en ligne, Wordpress - la fameuse plateforme de blogs - accepte également les bitcoins.
Mise en garde du FBI
Mais ils peuvent aussi servir à contourner le système bancaire traditionnel et éviter certains frais. Les transactions en bitcoins sont, en effet, gratuites. “On peut ainsi transférer de l’argent d’un pays à un autre sans devoir acquitter les frais de société comme Western Union et j’ai pu aussi voyager à l’étranger en payant divers services en bitcoins sans donc avoir à payer les taxes appliquées par les bureaux de change”, raconte Amir Taaki.
Mais les atouts de cette monnaie expliquent aussi sa faible diffusion. Elle n’est pas créée par un État - ce sont les utilisateurs qui la façonnent (lire encadré) -, elle ne dépend d’aucune banque et elle n’est pas régulée. Autant d’éléments qui n’inspirent pas forcément confiance dans ce système.
Cette existence en dehors de tout cadre légal et le “fort degré d’anonymat des transactions”, souligné dans un rapport de début novembre de la Banque centrale européenne (BCE) au sujet des monnaies virtuelles, peuvent faire le jeu de criminels qui chercheraient à utiliser les bitcoins pour blanchir de l’argent. “Le système Bitcoin qui n’est soumis à aucune autorité centrale de supervisation peut logiquement attirer les terroristes, trafiquants en tout genre et autres criminels qui y voient un moyen commode de contourner les obligations de déclaration des établissements bancaires”, notait ainsi en avril 2012 le FBI dans un rapport disponible en ligne.
Ces controverses sur l’origine et l’utilisation plus ou moins louches des fonds agacent ceux qui tentent de promouvoir Bitcoin. “Ce procès qu’on nous intente n’a jamais été fait aux autres monnaies qui servent pourtant aussi à des transactions illégales”, rappelle Gonzague Grandval.
Son service, Bitcoin-Central a, en outre, mis en place tout un système pour garantir “le plus possible” que les fonds sont légitimes. “Nous n’acceptons que des virements depuis des banques qui sont censées faire leur travail de vérification en amont. Et au-dessus de 250 euros, nous demandons des documents supplémentaires pour pouvoir identifier les déposants”, affirme Gonzague Grandval.
Pour lui, ces critiques ne font pas le poids face aux promesses de Bitcoin. “C’est le premier réseau ouvert de paiement sur Internet qui ne coûte rien à utiliser”, rappelle-t-il. Pour lui, Bitcoin va s’imposer “dans quatre ou cinq ans” face aux réseaux gérés par des entreprises privées comme Visa ou Mastercard qui prélèvent de l’argent pour chaque transaction. Encore faut-il que le grand public ait confiance dans cette monnaie encore très virtuelle.