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Fraîchement rassemblée derrière le Front de salut national, l’opposition au président Mohamed Morsi (photo) a entamé un bras de fer contre le pouvoir en place, accusé de dérive autoritaire.

Morsi droit dans ses bottes

Après des affrontements meurtriers entre ses partisans et ses détracteurs, le président égyptien est intervenu à la télévision égyptienne, jeudi soir. Dans un discours à la nation, Mohamed Morsi s'est montré ferme sur ses prérogatives et sur le projet de Constitution qui divise le pays, tout en invitant l'opposition au dialogue. Ses opposants et ses partisans ont à nouveau prévu de manifester au Caire après la prière, ce vendredi.
 

On les croyait défaits, résignés, définitivement hors jeu. Et pourtant. Six mois à peine après leur déroute à l’élection présidentielle qui a vu la victoire de Mohamed Morsi, les libéraux égyptiens, pourtant très divisés, font aujourd’hui cause commune pour mieux faire entendre leur voix. Refus du décret du 22 novembre élargissant les pouvoirs du chef de l’Etat, refus du projet de Constitution, adopté par l'Assemblée constituante où les islamistes sont majoritaires, refus du référendum du 15 décembre : le Printemps égyptien a trouvé un nouveau souffle.

 "Le décret présidentiel et l’annonce d’un référendum constitutionnel le 15 décembre ont donné un coup de fouet aux libéraux", souligne Karim Bitar, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste du monde arabe, interrogé par FRANCE 24. "L’arrogance du nouveau pouvoir a provoqué une coalition large de libéraux, d’islamistes et de tous les déçus du 'Morsisme'", ajoute Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes. 

Autrefois unis par leur opposition à l’ancien régime de Hosni Moubarak, les libéraux n’avaient, en effet, pas su tirer parti de la révolution égyptienne. "Ils n’ont pas su proposer un projet de société réaliste contrairement aux islamistes, qui, eux, sont unis. C’est d’ailleurs cette absence de cohésion, de programme compétitif qui leur a permis la victoire politique", analyse Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, professeur à l'Institut de hautes études internationales et du développement et au Centre de politique de sécurité de Genève.

Unis par "le refus de l’autoritarisme"

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Le camp anti-Morsi
Les libéraux s'unissent pour tenter de faire échec au président Morsi

Aujourd’hui très fragmentée et mal organisée, cette opposition libérale, plus ou moins laïque, part avec un sérieux handicap : celui de l’argent. Car contrairement aux Frères musulmans, les libéraux ont très peu de financements. De cette coalition hétéroclite, baptisée Front du salut national le 24 novembre 2012, émergent trois visages : Mohammed el-Baradei, prix Nobel de la paix et ancien chef de l'agence nucléaire de l'ONU, Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et Hamdeen Sabbahi, leader de la gauche nationaliste et nassérienne et ex-candidat à la présidence.

L'opposition refuse le dialogue

Le Front de salut national, coalition de l'opposition égyptienne, a décidé de rejeter le dialogue national proposé par le président Mohamed Morsi, a annoncé vendredi un de ses chefs.

L'opposant Mohamed ElBaradeï a ajouté que l'offre du président ne comportait
"aucune base pour un dialogue véritable".

"Le plus représentatif est Mohammed el-Baradei. Il reste très populaire auprès de la société égyptienne et il a su conserver une autorité morale, se préserver en ne participant pas à l’élection présidentielle", souligne Karim Bitar. "Ils sont unis par le refus de l’autoritarisme, de l’arbitraire et de la confusion des pouvoirs", insiste-t-il. "Les islamistes n’ont pas compris qu’ils ne peuvent pas se substituer aux dictateurs", poursuit Antoine Basbous. "Les Égyptiens ne veulent pas d’une théocratie. Ils veulent plus de respect et de démocratie".

Le Front du salut national conditionne ainsi tout dialogue au retrait du décret et à l'annulation du référendum. "Si Morsi choisit de rester sur sa ligne radicale, s'il ne répond pas à nos demandes, non seulement on va continuer à occuper la place, mais en plus on va lancer un mouvement de désobéissance civile", a menacé Ragab al-Feizir, vice-secrétaire général du Parti libéral (opposition), interrogé par RFI.

L’armée en guise d’arbitre

Reste la grande inconnue, la position de l’armée. "C’est un jeu d’échecs à trois joueurs : l’armée, les Frères musulmans et les libéraux. L’armée a toujours joué sur les deux tableaux. Lors de l’élection présidentielle, elle a présenté son candidat, Ahmad Chafik, contre Mohamed Morsi. Elle pourrait cependant parvenir à un modus vivendi avec le pouvoir en place, notamment si ses intérêts sont préservés", affirme Karim Bitar.

Du côté des libéraux, cette question de l’alliance avec les militaires divise. Si certains veulent pactiser avec l’armée, d’autres comme l’écrivain Alaa el-Aswany, proche de Mohamed el-Baradei refusent cette option. "Il y a bien pire que les massacres commis par les Frères musulmans : ceux de l’armée", écrit-il jeudi sur le site de microblogging Twitter. "Chafik n’est pas la solution. L’Égypte va mettre fin au règne des Frères comme elle a fait tomber Moubarak. Patience".

L’opposition joue-t-elle pour autant son va-tout ? Rien n’est moins sûr pour Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou. "C’est un moment particulièrement important. Les transitions politiques sont toujours longues, complexes et le printemps égyptien se joue encore. En organisant le référendum, Morsi fait un pari très osé. Si le peuple rejette la Constitution, il y aura un va-et-vient vers la place Tahrir. La révolution appartient à la rue égyptienne et elle ne se laissera pas déposséder de ses fruits".

Morsi, plus isolé que jamais

Alors que les affrontements entre ses partisans et ses adversaires ont déjà fait sept morts et des centaines de blessés, les défections se font de plus en plus nombreuses dans le camp Morsi. "Six ou sept conseillers ont démissionné", note Antoine Basbous. "Ne restent à ses côtés que les plus convaincus, notamment ceux qui appellent au djihad".

Quant à la justice égyptienne, qui supervise traditionnellement les élections, elle a d’ores et déjà annoncé par la voix du "Club des juges", son organisation la plus influente, qu’elle boycottera le référendum du 15 décembre.

Discret depuis près d'une semaine, le président Morsi est sorti de son silence jeudi soir en appelant au "dialogue le samedi 8 décembre au palais présidentiel" dans un discours adressé à la nation.