Au cours du troisième jour de violences entre manifestants et forces de l'ordre à Siliana, une ville située au sud-ouest de Tunis, près de 200 personnes ont été blessées. Deux journalistes de FRANCE 24 figurent parmi les victimes.
La tension est vive à Siliana : gaz lacrymogènes, jets de pierre et tirs à la chevrotine... Cette ville située à 127 km au sud-ouest de Tunis est, depuis trois jours, le théâtre de vifs affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.
Si un calme précaire était revenu dans la soirée de mercredi, ce jeudi, les manifestations ont repris de plus belle. La police a tiré de grandes quantités de gaz lacrymogènes sur quelques centaines de manifestants qui ont tenté de s'attaquer à un poste de police. Trois personnes ont été blessées, selon une source hospitalière.
Non loin de là, des milliers d'habitants manifestaient aux abords de la préfecture pour réclamer encore et toujours le limogeage du gouverneur régional, Ahmed Ezzine Mahjoubi, et désormais aussi le départ de nouveaux policiers venus prêter mains forte à leurs homologues de Siliana. "On réclame le départ de tous ces renforts, on n'accepte que les agents de police de Siliana", a déclaré l'un des manifestants.
Des manifestations ont aussi été émaillées de violences dans des localités proches de Siliana, même si les débordements semblaient moins graves que la veille.
Mercredi, le secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) à Siliana, Ahmed Alchafi, a accusé les policiers de recourir de façon excessive à la force. "On manifestait de façon pacifique et les forces de l'ordre ont répondu par la violence, raconte-t-il. Ce gouvernement veut nous mettre à genoux." Bilan en deux jours : plus de 250 blessés, selon des sources hospitalières. Parmi eux, le correspondant de FRANCE 24 en Tunisie, David Thomson, ainsi que son accompagnateur Hamdi Tlili, qui ont été visés par des tirs de chevrotine.
Aux urgences de l'hôpital de Siliana, les blessés sont soignés pour des contusions, des coupures ou encore des fractures. Le personnel médical dénonce les méthodes employées par la police : "Avant, on recevait des manifestants blessés aux membres inférieurs mais, maintenant, ils sont touchés au niveau des yeux ", commente Almoncef al-Fadi, un infirmier. Les blessés les plus graves sont évacués vers Tunis.
Nouvelles manifestations prévues vendredi
En plus du départ du gouverneur membre du parti islamiste Ennahda, critiqué pour son incapacité à relancer l'économie de cette région particulièrement pauvre, les manifestants demandent également la libération d'une dizaine de personnes arrêtées lors de la précédente grève générale, en 2011.
À Tunis, où environ 200 personnes ont également manifesté en soutien aux habitants de Siliana, le Premier ministre Hamadi Jebali a affirmé, mercredi, qu’il refusait de limoger son gouverneur. Des propos corroborés lors d’une conférence de presse jeudi soir, durant laquelle il a souligné que le développement économique que réclament les habitants de Siliana ne peut pas être réalisé "dans le chaos", ajoutant qu'aucun responsable politique ne sera limogé sous la pression de la violence.
Le Premier ministre a également annoncé qu’une enquête "sur un éventuel usage excessif de la force et sur l'origine des violences" dans cette région située à l'ouest de Tunis, allait être ouverte. "Notre devoir est de demander des comptes à ceux qui sont responsables de cette catastrophe", a-t-il ajouté.
Plus tôt dans la journée, l'UGTT a appelé à une nouvelle manifestation vendredi.
Difficultés économiques
À l’origine, les manifestants étaient descendus dans la rue pour crier leur ras-le-bol contre la pauvreté et le chômage. La région de Siliana est très affectée par les difficultés économiques. Selon des statistiques officielles, les investissements y ont baissé de 44,5 % et les créations d'emplois y ont chuté de 66 % entre les mois de janvier et d'octobre par rapport à la même époque l'an dernier.
Les manifestants se sentent démunis et laissés pour compte, à l’image de Kamel Alkharoubi, sans emploi : "Je n'appartiens à aucun parti politique, je n'appartiens qu'à la Tunisie et je n'ai rien gagné, à part la pauvreté et le chômage", soupire-t-il.
Tentant d’apaiser les tensions, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khaled Tarrouche, a assuré, mercredi, que le gouvernement était ouvert à la négociation. "La porte du dialogue est ouverte, il faut arrêter la violence", a-t-il déclaré.