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La justice lyonnaise a refusé mardi la demande de récusation présentée par un avocat à l'encontre d'un juge au motif que son nom à consonance juive pouvait remettre en cause son impartialité. L'avocat fait l'objet d'une procédure disciplinaire.
La justice a refusé mardi la récusation d'un juge lyonnais demandée par un avocat au motif que son nom laissait supposer qu'il était juif, et le Parquet général a décidé d'engager une procédure disciplinaire contre l'avocat auteur de cette requête aux relents antisémites qui a outré le monde judiciaire.
"Je vais saisir dans les heures qui viennent le bâtonnier d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Me (Alexis) Dubruel", a indiqué à l'AFP le procureur général Jacques Beaume, évoquant le caractère "ignominieux" de la requête et de ses arguments .
Le barreau de Lyon, auquel appartient l'avocat, a également demandé son passage en conseil de discipline.
La garde des Sceaux Christiane Taubira a exprimé dans un communiqué "sa plus vive réprobation à l'égard de toute mise en cause de l'impartialité d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions du fait de ses origines, de son patronyme, ou de son appartenance ou sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée", indique le communiqué, qui rappelle "les dispositions de l'article 225-1 du code pénal définissant la discrimination".
Mme Taubira "apporte son plein soutien au magistrat concerné" et "assure les autorités judiciaires de Lyon de tout son engagement pour la mise en oeuvre des mesures de protection statutaire (...) relative au statut de la magistrature".
Le Parquet général de Lyon étudie par ailleurs les éventuelles suites pénales qui pourraient être données à l'affaire, tout en soulignant la complexité de la chose s'agissant d'un écrit judiciaire.
Dans l'après-midi, le premier président de la cour d’appel de Lyon, avait rejeté la requête aux fins de récusation" présentée par Me Alexis Dubruel, avocat au barreau de Lyon, contre Albert Levy, assortissant ce rejet d'une amende de 750 euros, le maximum prévu.
Dans sa requête adressée fin octobre dans un banal dossier de respect du droit de visite concernant un enfant et publiée mardi en fac-similé par Libération, l'avocat mettait en cause l'impartialité du juge Levy dans un dossier où le père de la prévenue s'appelle Moïse.
De nombreux avocats et magistrats ont condamné avec force cette démarche.
"De mémoire de magistrat, on n'avait jamais vu une telle requête", avec un "fondement clairement antisémite", s'est indigné Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature, interrogé par l'AFP. "C'est un acte extrêmement grave qui ne peut pas rester sans suite", a-t-il insisté.
"Aspect juridiquement délirant"
"Au-delà de l'aspect humainement inacceptable de cet avocat et de l'aspect juridiquement délirant de sa demande, se pose la question de la conception de l'impartialité du juge", a-t-il expliqué.
Avec une telle conception, "un juge pourrait être mis en cause pour son homosexualité dans le cadre de procédures de garde d'enfant", a donné en exemple le président du Syndicat de la magistrature, classé à gauche.
Anne Wyon, de l'Union syndicale des magistrats (USM), s'est quant à elle dite "sidérée qu'une telle idée puisse venir dans la tête d'un avocat".
Alain Jakubowicz, avocat du juge Lévy et par ailleurs président de la Licra, s'est lui aussi insurgé contre ce risque de dérive, avec des justiciables ne voulant "pas être jugés par un juge homosexuel ou noir" ou d'une appartenance religieuse supposée. Comme dans cette affaire où "tout part du patronyme d'Albert Lévy".
Me Dubruel, interrogé par l'AFP, a dénoncé, visiblement furieux, l'influence du "quatrième pouvoir" qu'est la presse, venue se mêler de son affaire.
Celle-ci fait d'autant plus de bruit que le juge visé, Albert Lévy, figure de la magistrature lyonnaise et du Syndicat de la Magistrature, a fait déjà l'objet de plusieurs attaques antisémites, dont la dernière remonte au printemps, quand le groupe islamiste Forsane Alizza avait projeté son enlèvement. Ce Premier vice-président du Tribunal de grande instance de Lyon avait alors été placé sous protection policière.
Il s'était également fait connaître dans les années 1990, quand en poste au parquet de Toulon, il avait travaillé sur le grand banditisme et ses liens supposés avec le FN, faisant l'objet d'attaques antisémites et de menaces de mort.
AFP