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Circulaire pour la Corse : une première "petite pierre à l’édifice"

Lutte contre le blanchiment d'argent et meilleure coordination des enquêtes : la "circulaire de politique pénale spéciale pour la Corse" a été présentée lundi par les ministres de la Justice Christiane Taubira et de l'Intérieur Manuel Valls.

Face à la recrudescence du crime organisé sur l’île de Beauté, la garde des Sceaux Christiane Taubira a dégainé lundi 26 novembre une série de mesures, lors d’un déplacement de 48h en Corse en compagnie du ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Une déclaration de guerre contre la délinquance financière, dans la région la plus criminogène d’Europe en matière de meurtres. Ainsi, la "circulaire de politique pénale spéciale pour la Corse" entend régler les problèmes spécifiques à cette région où, depuis le début de l’année, 18 assassinats ont eu lieu.

“Encourageant”

"La violence et l'affairisme ont atteint dans l'île un niveau sans commune mesure avec les autres régions françaises, qui menacent les fondements mêmes de la société", est-il indiqué en préambule du document. Annoncée le 22 octobre, cette circulaire intervient après l'assassinat de l'avocat Antoine Sollacaro mi-octobre, et celui du président de la chambre de commerce d'Ajaccio, Jacques Nacer, en novembre.

Excluant la création d'un "pôle antimafia" à l'italienne ainsi que l’envoi de renforts massifs, Christiane Taubira et Manuel Valls ont présenté dix mesures. Parmi elles, la mise en place d’une meilleure coopération entre enquêtes et condamnations, et plus particulièrement entre juridictions corses et marseillaises, par le biais de la création d’une instance de coordination judiciaire. Les moyens pour combattre la délinquance fiscale seront par ailleurs revus pour améliorer leur efficacité.

Mais surtout, la lutte contre la criminalité et le blanchiment d’argent font office de thèmes principaux. “Une attention particulière sera portée à la lutte contre le blanchiment de fonds et les extorsions dans les secteurs d’activités économiques qui y sont propices (immobilier, sécurité, jeux, bâtiment et travaux publics, sport...), ” a précisé la garde des Sceaux. Le secteur du notariat a notamment été pointé du doigt par Manuel Valls, comme étant lié à la criminalité organisée. “Ils sont muets,” a-t-il déclaré, en parlant des professionnels de l’immobilier, mais également des “responsables de cercles de jeux,” mettant ainsi le doigt sur l’omerta en vigueur dans l’île, qui freine la coopération entre la population et la police et la justice.

Une absence de coopération qui se ressent dans le taux de résolution des crimes sur l’île, s’élevant à tout juste 55 % - moitié moins que sur l’ensemble du territoire français. D’où un autre axe de la circulaire : l’amélioration du taux d'élucidation des affaires via des co-saisines ainsi que le recours aux témoignages anonymes.

Le rôle de la société civile en question

Pour Jean-Michel Verne, journaliste d’investigation et auteur de “Main basse sur Marseille et… la Corse”, c’est dans cette absence de coopération que réside le nœud du problème régional. “Il y a une acceptation de la violence en Corse, elle fait partie de la culture,” indique-t-il.

Le 21 novembre, des "femmes corses contre la violence" ont exprimé leur ras-le-bol et exhorté François Hollande, dans une "lettre ouverte" publiée dans Libération, à "agir sans attendre" pour enrayer la spirale criminelle qui ensanglante la Corse. Selon le spécialiste, ce genre d’initiative positive est trop rare.

Afin d’inciter les témoins et criminels repentis à coopérer, la circulaire a donné naissance à un décret permettant une meilleure protection des témoins. "L'État prendra ses responsabilités pour [les] protéger," a précisé Christiane Taubira.

L’État ambigu

“Cette circulaire est une première petite pierre à l’édifice. Mais, il s’agit surtout d’un effet d’annonce,” analyse pourtant Jean-Michel Verne.

Le journaliste dénonce notamment une politique ambiguë menée depuis des années. "L’État profite parfois des rivalités entre clans. La Brise de mers [un gang actif sur l’île et à Marseille, ndlr] a notamment permis à la police d’obtenir des informations sur des nationalistes. Au même moment, un rapport de police sur les investissements du gang sur la Côte d’Azur, qui mettait en lumière des relations avec la mafia russe, a été abandonné. L’État pêche par absence de fermeté en Corse."