En obtenant un cessez-le feu entre Israël et le Hamas, le président égyptien Mohamed Morsi a récolté de nombreux éloges sur la scène internationale. Une auréole vite éclipsée par l’annonce d’un décret renforçant ses pouvoirs.
En arabe, l’Égypte est parfois appelée "Oum al-Dounia", mère du monde - un titre tombé en désuétude ces dernières décennies avec la hausse de la pauvreté, un pouvoir autocratique et son échec à défendre l’honneur du monde arabe. Mais, l’espace d’un instant, mercredi 21 novembre, le pays le plus peuplé de la nation arabe est redevenu le centre du monde.
Le cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, obtenu par l’Égypte après 8 jours de combats intenses ayant abouti à la mort de 160 Palesiniens et 6 Israéliens, a démontré contre toute attente l’habileté diplomatique de Mohamed Morsi. Lors de la conférence de presse annonçant l’arrêt des hostilités le 21 novembre, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a encensé le président égyptien. "Je veux remercier le président Morsi pour son implication personnelle pour stopper l’escalade de violence à Gaza", a-t-elle déclaré.
"Les États-Unis ont joué un rôle mais l’Égypte en a eu un bien plus grand", analyse Barbara Slavin, chercheuse à l’Atlantic Council de Washington DC. "C’est une victoire de Morsi et j’avoue qu’il m’impressionne de plus en plus", ajoute-t-elle.
"Morsi, l’ange barbu de la diplomatie"
Une parenthèse vite éclipsée par le décret pris par le Mohamed Morsi le 22 novembre. Désormais, aucune décision ou loi présidentielle ne peut être contestée. "Le président peut prendre toute décision ou mesure pour protéger la révolution", précise le texte en ajoutant que "toutes les déclarations constitutionnelles, décisions et lois émises par le président sont définitives et ne sont pas sujettes à appel".
À présent, l’Assemblée constituante égyptienne chargée de rédiger la nouvelle Constitution ne peut plus être dissoute. Majoritairement composée de députés islamistes, elle ne comporte aucun représentant de la communauté copte ou du Mouvement de la jeunesse du 6-avril (précurseur de la révolution de février 2011).
Dès l’annonce de ce nouveau décret, Mohamed El-Baradeï, figure de proue de l’opposition, a accusé Mohamed Morsi d’usurper tous les pouvoirs pour s'autoproclamer "nouveau pharaon d'Égypte".
"Il va être difficile de convaincre le monde que l’Égypte est sur la voie du renouveau quand son président détient des pouvoirs presque illimités", a écrit sur le site de microblogging Twitter, Angus Blair, consultant de l’Institut Signet, un think tank basé au Caire.
"Chers médias américains, vous vous demandez qui a gagné la guerre Israël-Gaza ? C'est Morsi, l’ange barbu de la diplomatie", a également tweeté Firas Al-Atraqchi, professeur à l’université américaine du Caire.
"Morsi ne s’en sort pas aussi bien en matière de politique intérieure que sur la scène internationale, explique Samer Shehata, professeur à l’université de Georgetown. Il doit gérer une multitude de problèmes internes comme l’économie ou encore les réformes constitutionnelles. Ses liens avec les Frères musulmans sont également cruciaux pour l’Égypte."
"L’ennemi ne comprend que la force"
Depuis son élection en juin avec 51 % des voix, Mohamed Morsi dirige un pays dépourvu de Constitution avec une économie exsangue, un chômage et une inflation galopants, une armée qui le désavoue et tout un pan de la société qui doute de sa fibre islamiste. Le lendemain du cessez-le-feu entre le Hamas et Gaza, le leader de la confrérie, Mohammed Badie, a ainsi dénoncé ces efforts de paix avec Israël et appelé au djihad pour libérer les Territoires palestiniens. "L’ennemi ne comprend que la force", a-t-il commenté sur le site Internet des Frères musulmans.
Reste que Mohamed Morsi pourrait souffrir de la même image qui a valu à son prédécesseur la réputation de "marionnette des Américains et des Israéliens". Obtenir un arrêt des hostilités était la partie la plus simple à jouer pour le président égyptien. Le véritable challenge pour lui désormais est de veiller à la mise en œuvre de ce cessez-le-feu, en prenant en compte l’opinion publique égyptienne et les pressions américaines et israéliennes. "Morsi doit bien entendu satisfaire plusieurs parties. D’un côté, il doit maintenir la paix en raison de sa dépendance à l’aide américaine. De l’autre, il est le président élu qui doit défendre les droits des Palestiniens", explique le professeur Samer Shehata.
Mohamed Morsi a conscience qu’il suffira d’une roquette palestinienne tirée sur Israël pour rallumer la mèche et ramener l’Égypte d’une position centrale pour la paix à celle de spectateur d'un nouveau conflit régional.