Boutheina Hasnaoui s'est qualifiée pour la finale des Championnats du monde de karaté (-61 kg) qui se déroulent à Paris en éliminant la championne du monde en titre. Grand espoir de son pays, la Tunisienne fait partie d'une tribu de karatékas.
C’est sur un ton doux et calme que Boutheina Hasnaoui s’exprime. Une voix fluette, presque celle d’une petite fille. Mais quand la jeune femme enfile son kimono, la timidité laisse place à la rage. Championne du monde juniors en 2007, championne d’Afrique cette année, la karatéka tunisienne a créé la sensation, jeudi 22 novembre, en battant en demi-finale des moins de 61 kg, la championne du monde en titre l’Australienne Kristina Mah.
"Je suis contente, mais pour moi, ce n’était pas étonnant. Je me suis préparée. J’ai trouvé les bons paramètres. Mon parcours a été dur, mais je suis restée concentrée. J’étais au top", raconte la sportive de 24 ans, interrogée par FRANCE 24. En finale, le défi s’annonce tout aussi compliqué. Boutheina sera opposée samedi à la Française, Lolita Dona, championne du monde 2010 et d’Europe 2012. Même si le public du Palais omnisports de Paris Bercy où sont organisés les Championnats du monde sera acquis à la cause de son adversaire, la Tunisienne préfère y voir un avantage : "Ce n’est pas moi qui aura la pression. Je vais juste rester concentrée sur moi-même et mes qualités".
Des qualités qui font le bonheur de l’entraîneur national de l’équipe de Tunisie, Mohamed Jomaa. Pour le coach, Boutheina a toutes ses chances de décrocher l’or : "Elle ne lâche rien. Elle va jusqu’au bout. C’est une personnalité forte. Elle a vraiment du charisme".
Karatéka, de père en filles
Pour développer ce talent, la sportive a pu compter sur sa famille. Chez les Hasnaoui, le karaté est une tradition. À El Mourouj, une ville de la banlieue sud de Tunis, Rachid, le père, dirige une salle de sports de combat. C’est donc tout naturellement que Boutheina a choisi les arts martiaux après avoir essayé la gymnastique. "J’ai débuté le karaté vers 12 ans. Après seulement deux semaines d’entraînement, j’ai participé à la Coupe de Tunisie et j’ai été classée 2e. J’ai tout de suite été invitée en équipe nationale", se souvient-elle. Son frère, Mohamed Amine, éliminé en quart de finale des Championnats du monde, fait aussi partie de la sélection tunisienne. Sa sœur, Kaouther, est quant à elle entraîneur de l’équipe cadette nationale.
Une tribu de karatékas qui lui a permis de se protéger des moqueries et des critiques. Boutheina reconnaît que certaines de ses connaissances s’étonnent de la voir pratiquer un sport de combat. "Ils pensent que le karaté est sauvage et que cela n’est pas fait pour une fille. Ils me disent d’arrêter de me battre surtout quand j’arrive à l’université avec des blessures", explique la jeune femme qui est aussi étudiante en 2e année de Master de biologie. "Je leur réponds que je suis accro et passionnée et que ce n’est pas aussi violent. C’est un sport très réglementé".
Un engouement dans tout le Maghreb
Malgré les réticences de certains, les Tunisiennes sont de plus en nombreuses à pousser les portes des clubs de karaté. "Au niveau des championnats africains, les catégories de filles sont pleines. La Tunisie, l’Algérie, le Maroc, l’Egypte sont bien représentés, mais aussi des pays comme le Sénégal", constate Boutheina.
Au total, la Tunisie compte environ 8 000 licenciés (masculins et féminins) dans tout le pays. Pour l’entraîneur national, cet engouement s’explique par l’état d’esprit particulier de cette discipline. "C’est surtout un sport de mental et de contrôle de soi. C’est beaucoup moins violent que la boxe. Il s’agit davantage de réflexion que de force", estime Mohamed Jomaa. Résultat, les pays africains peuvent désormais rivaliser avec les grandes Nations européennes ou asiatiques. Ils sont aujourd’hui 20 à participer aux Championnats du monde à Paris, contre une dizaine seulement il y a deux ans à Belgrade, en Serbie.
Le rêve olympique
Pour médiatiser encore un peu plus son sport, qui compte 100 millions de pratiquants dans le monde, Boutheina souhaite qu’il soit bientôt inscrit au programme olympique : "C’est malheureux qu’un sport aussi ancien ne soit pas reconnu !". Après avoir raté deux fois son admission aux JO, pour Londres en 2012, puis pour Rio en 2016, le karaté est de nouveau candidat pour ceux de 2020.
Dans huit ans, la championne tunisienne aura alors 32 ans, mais le rêve d’une médaille olympique pourrait la pousser à reculer l’âge de sa retraite. "Je ferai une pause et ensuite je reviendrai juste pour ça !", annonce-t-elle, pleine d’espoir. En attendant, Boutheina doit livrer samedi son plus grand combat. Celui pour l’or mondial.