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La République française a officiellement reconnu mercredi la sanglante répression menée contre des manifestants algériens le 17 octobre 1961. Pour FRANCE 24, l'écrivain Jean-Luc Einaudi revient sur cet épisode sombre de la guerre d’Algérie.

Il y a 51 ans, les forces de l’ordre françaises réprimaient violemment une manifestation contre l’instauration, par le préfet de police d'alors, Maurice Papon, d’un couvre-feu à Paris et en banlieue parisienne pour les seuls Maghrébins, manifestation organisée par le Front de libération nationale algérien.
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Les réactions de françois fillon et marine le pen

Selon Jean-Luc Einaudi, écrivain et auteur de "La bataille de Paris - 17 octobre 1961", une vingtaine de personnes furent tuées ce jour-là et une quarantaine disparurent. Plus d'un demi-siècle après les faits, le président de la République française, François Hollande, a officiellement reconnu ces tueries : "Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes."

Les répressions d’octobre 61 sont-elles un épisode parmi d’autres dans la guerre d’Algérie, ou ont-elles joué un rôle dans les accords d’Évian et dans l’irréversibilité de l’indépendance de l’Algérie ?

Fondamentalement, je pense que les massacres du 17 octobre 1961, à Paris, sont un épisode parmi d'autres de la guerre d'Algérie. Cet épisode ne peut d'ailleurs pas être compris si on ne le restitue pas par rapport au déroulement de cette guerre sur le territoire algérien. Je dirais même qu'il ne peut être compris si l'on n'a pas en tête que la France était en situation de répression et de guerre coloniale depuis 1945, avec les massacres de l'Est algérien en mai 1945 et la tentative de reconquête de l'Indochine.

Hauts fonctionnaires, policiers, gendarmes mobiles baignaient dans cette ambiance depuis des années, avec tout ce que cela implique en termes d'état d'esprit et de pratiques. Ceci étant dit, la particularité des évènements du 17 octobre est double. Il s'agit, d'une part, du surgissement de colonisés au cœur même de la métropole coloniale pour appuyer la revendication d'indépendance. Il s'agit, d'autre part, du déchaînement en plein Paris de la violence policière produite par des années de pratique de la guerre coloniale.

Pourtant, ces manifestations et cette répression sanglante n'ont pas influé de façon décisive sur la reprise des négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire algérien. De Gaulle était décidé à en finir avec cette guerre qui isolait la France sur la scène internationale et dont l'issue ne pouvait plus être que l'indépendance, qui avait le soutien de la très grande majorité des Algériens, y compris immigrés. Les massacres du 17 octobre n'ont pas provoqué en France de grandes réactions de protestation. Ils ont été très largement dissimulés par le mensonge de l’État et recouverts par l’indifférence dominante. Autrefois, Pierre Vidal-Naquet avait appelé le 17 octobre 1961 "ce jour qui n'ébranla pas Paris". Je partage ce point de vue.

Pourquoi la France n’a-t-elle pas officiellement reconnu les tueries d'octobre 1961 avant ?

"manque de courage de la France"

Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, a salué mercredi "les bonnes intentions" manifestées par la France. Mais les déclarations du président français, par la voie d'un communiqué jugé lacunaire par certains, ne font pas l'unanimité.

Pour Arezki Dahmani, président de la Maison de l'union méditerranéenne, les propos de François Hollande sont "extrêmement décevants" et "révélateurs du manque de courage de la France" face à son histoire coloniale.

"Après 51 ans et à la veille de son voyage en Algérie, on attendait quelque chose de fort", a-t-il déclaré.

"C'était l'occasion pour lui de s'affirmer en tant que chef d'État et de tourner une page sombre de l'histoire, comme on l'a fait sur le Vel' d'Hiv', comme les États-Unis l'ont fait avec le Vietnam et le Royaume-Uni avec son empire", a-t-il ajouté.

Jusqu'à présent, la France n'avait pas encore reconnu officiellement ce crime pour diverses raisons. La première est que les responsables ont continué durant longtemps à occuper d'importantes fonctions dans l'État français. Je rappelle que Maurice Papon, Préfet de police en 1961, a été ministre jusqu'en 1981 et que Roger Frey, ministre de l'Intérieur en 1961, a présidé le Conseil constitutionnel jusqu'en 1983.

François Mitterrand, qui en 1961 était dans l'opposition, une fois devenu président de la République, ne tenait pas à ce qu'on revienne sur les années de la guerre d'Algérie, compte tenu des graves responsabilités qui furent les siennes en tant que ministre de l'Intérieur d'abord puis comme ministre de la Justice. Il y avait là une convergence d'intérêts pour entretenir l'ignorance et l'oubli.

Il a fallu le développement de recherches, la publication de livres, un mouvement de la société civile pour que, peu à peu, la vérité fasse son chemin. Je rappelle à cet égard le moment crucial qu'a constitué, en 1999, le procès qu’a intenté contre moi Maurice Papon et qui, finalement, a permis que ce massacre soit reconnu pour la première fois. À partir de là, un mouvement de reconnaissance s'est engagé de la part de nombreuses municipalités, à commencer par Paris.

Néanmoins, dans le même temps, la Préfecture de police, concernée en premier lieu par ces événements, a continué à chercher à entretenir des versions mensongères et à manœuvrer pour faire obstacle à cette reconnaissance. Le 17 octobre 2011, sur le pont de Clichy, le candidat François Hollande s'était engagé publiquement à reconnaître ce crime s'il était élu Président de la République.

Les événements d’octobre 1961 ne sont pas très connus par la jeunesse française et algérienne. À quoi cela est-il dû ?

En ce qui concerne la France, la connaissance des événements du 17 octobre 1961 a beaucoup progressé durant ces dernières années. J'ai eu, pour ma part, l'occasion d'intervenir souvent devant des publics nombreux de lycéens, de toutes origines, toujours très attentifs. Je constate également que ces événements sont maintenant mentionnés dans les manuels d'histoire. Mais, concernant ces faits, comme bien d'autres, le travail de connaissance et de transmission doit se poursuivre et ne sera jamais terminé.

Pour ce qui est de l'Algérie, les conflits internes qui ont suivi l'indépendance ont eu pour conséquence, durant de nombreuses années, de passer sous silence l'action de l'émigration algérienne durant la guerre d'indépendance. Trop souvent, l'histoire a été instrumentalisée en fonction de tels ou tels intérêts.

En France comme en Algérie, il me paraît essentiel que les citoyens considèrent qu'il est de leur responsabilité de chercher à connaître et faire connaître leur histoire.

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