
La baisse du nombre de fidèles et des soucis financiers conduisent la paroisse de Vierzon à vendre une de ses églises. Une association musulmane serait intéressée pour en faire une salle de prière. À la messe, dimanche, le curé a rassuré ses fidèles.
"L’homélie de ce dimanche nous invite à un certain détachement par rapport aux biens matériels." Dès le début de la messe, sans détour, le curé Alain Krauth annonce que le sermon du jour sera consacré au sujet qui préoccupe ses paroissiens : la vente de l’église St Éloi. "Pour aimer les autres, il faut savoir se détacher des biens matériels ", poursuit-il depuis l’autel de l’église St Jean-Baptiste qui accueille l’office en ce deuxième dimanche d’octobre.
Les fidèles de Vierzon savent depuis des mois que le diocèse a décidé de se séparer de l’une de ses six églises, mais ils ont appris cette semaine que la communauté musulmane serait intéressée pour en faire une salle de prière. Le curé ne cache pas que cette annonce a surpris des membres de la communauté. Il a reçu de nombreux coups de fils et des e-mails à ce sujet : "Je sais que cela suscite des réactions."
Réputé pour sa liberté de ton, le prêtre a décidé de s’adresser directement à ses paroissiens et de leur proposer de répondre à trois questions :"Faut-il vendre l’église ? Peut-on vendre l’église à des musulmans et faut-il vendre l’église aux musulmans de Vierzon ?" Sur les bancs de cet édifice datant des années 50 à la décoration dépouillée et aux vitraux modernes, les catholiques écoutent avec intérêt. Les paroles du curé ne sont interrompues que par les rires et les pleurs de quelques enfants présents dans cette assemblée clairsemée.
"Il ne faut pas attendre que le seigneur envoie des lingots d’or"
Le curé explique que la vente est inévitable en raison de la baisse du nombre de pratiquants et des difficultés financières du diocèse. "Il ne faut pas attendre que le seigneur envoie des lingots d’or", lance-t-il avec humour. D’un ton rassurant, mais ferme, ce curé nouvelle génération, portant une aube d’inspiration sud-américaine, veut balayer les clichés sur la communauté musulmane : "Il ne faut pas faire d’amalgame avec les radicaux islamistes. Il y a des extrémistes dans toutes les religions."
Même s’il avoue que la décision ne lui appartient pas et que c’est l’évêque qui en a la responsabilité, Alain Krauth ne cache pas qu’il n’est pas contre un rachat par une autre communauté. "Si l’église devient un lieu de culte pour des musulmans modérés qui veulent vivre leur foi dans le respect de la laïcité et dans une relation de courtoisie avec la communauté catholique, je dis pourquoi pas ", conclut-il son homélie.
À la sortie de la messe, le sermon est dans toutes les conversations. "Je suis tout à fait d’accord avec lui", affirme Marie-Claude, une catholique pratiquante qui habite depuis plus de 30 ans à Vierzon. Mais il ne faut pas que ce soit des extrémistes", ajoute cette femme toute endimanchée. Pour cette retraitée, il est normal de vendre l’église car Vierzon est en crise. De 35.000 habitants dans les années 70, la ville n’en compte plus que 27.000. "C’est une ancienne ville ouvrière. Il y a énormément de chômage. Toutes les usines ont fermé. Tous les actifs sont partis. Mes enfants ne sont pas restés."
"Nous sommes tous des fils de Dieu"
Sous le porche de l’église, Antonio approuve lui aussi la décision du diocèse et ne voit pas d’inconvénient à la transformation en lieu de prière musulman. "Abraham était le père de tous les croyants. Nous sommes tous des fils de dieu", explique-t-il avec un grand sourire. Cet ancien enseignant catholique avoue toutefois qu’il aurait préféré que l’église St Éloi soit gardée comme petite chapelle ou comme maison de repos pour personnes âgées.
D’autres paroissiens ont entendu des rumeurs au sujet d’une possible reconversion de l'édifice religieux en un musée ou en un lieu d’obsèques civiles. Marie-Dominique préfère autant que l’église reste un lieu de prière. "Cela nous fait un petit quelque chose, c’est sûr, mais c’est normal que les musulmans aient un lieu de culte, il faut l’accepter." Son ami, Jean-Luc, membre de l’équipe paroissiale, partage son avis. Même si ses quatre enfants ont fait leur communion dans l’église St Éloi, il n’est pas choqué par l’éventuelle vente à la communauté musulmane. "Il faut mieux leur proposer un lieu qu’un sous sol", précise-t-il.
Du coin de l’œil, le curé Alain Krauth est heureux d’entendre ses fidèles partager son point de vue. Il sait toutefois qu’une minorité le désapprouve. "Ceux qui ne sont pas d’accord n’ont pas eu le courage de me dire après la messe que les musulmans sont dangereux, mais j’ai entendu une paroissienne dire l’autre jour qu’il fallait leur mettre des bombes, à ces gens-là."
"L’église, c’est un bâtiment"
Pour le prêtre, le débat sur la reconversion de l’église n’est finalement pas le plus important. Ce qui le préoccupe avant tout, c’est la baisse de fréquentation : "La communauté catholique de Vierzon m’attriste plus que l’église St Éloi. Quand je vois le nombre de personnes dans l’église ce matin, une centaine pour une ville de 27.000 habitants, cela me torture", décrit Alain Krauth d’un ton désabusé. "L’église, c’est un bâtiment, l’important pour moi, ce sont mes fidèles, mes pierres vivantes."
Aucune décision finale n’a pour l’instant été prise pour l’avenir de l’église St Eloi. Même si la communauté musulmane de Vierzon a fait part de son intérêt, elle n’a pas encore fait d’offre. L’église va être mise en vente dans les prochains jours aux alentours de 170.000 euros auprès de quatre agences immobilières, de deux notaires et d’un célèbre site de petites annonces.