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“26 years”, le film sud-coréen controversé sauvé par Internet

Le cinéaste sud-coréen Choi Yong-bae ne doit la survie de son film "26 years" sur le dictateur sud-coréen Chun Doo-hwan qu’au financement collaboratif sur Internet. Le sujet était jugé politiquement trop sensible par les investisseurs traditionnels.

C’est l’histoire d’un film qui a bien failli ne jamais voir le jour. “26 years”, du réalisateur sud-coréen Choi Yong-bae, fera finalement ses débuts dans les salles obscures fin novembre, à quelques semaines de l’élection présidentielle sud-coréenne du 19 décembre. Mais sans Internet et les fonds que Choi Yong-bae a levé grâce à une gigantesque opération de financement collaboratif (plus de 400 000 dollars récoltés en deux mois), son film serait resté dans les cartons.

Pourtant, lorsqu’en 2006 Choi Yong-bae rachète les droits du dessin animé “26 years”, le réalisateur de The Host (2006) espère détenir un sujet en or. Il souhaite faire un film dont la trame serait l’histoire de plusieurs sud-coréens qui tentent d’assassiner Chun Doo-hwan, un général, qui après un coup d’État en 1979, a présidé aux destinées de la Corée du Sud jusqu’en 1988.

Condamné à mort en 1996 pour la répression sanglante du soulèvement démocratique de Gwangju en mai 1980, le dictateur, qui a bénéficié en 1997 d'une amnistie présidentielle, vit aujourd’hui dans une villa hautement protégée par l’État sud-coréen. Le titre “26 years” fait référence aux 26 ans qui se sont écoulés entre la création du dessin animé et le jour où les militaires ont tué à Gwangju plus de 150 victimes, dont une grande part d'étudiants.

Punir les responsables

Si le sujet est politiquement sensible, d’autres films traitant de ce massacre avaient été autorisés en Corée du Sud. “La plupart des autres œuvres relatent la souffrance des victimes de l’époque, alors que ‘26 years’ parle de punir les responsables”, explique au quotidien britannique "The Telegraph" Kim Nak-ho, un spécialiste de la culture des bandes dessinées en Corée du Sud à l’Université du Wisconsin.

Une nuance de taille et Choi Yong-bae ne tarde pas à s’en rendre compte. “Le film est une critique de la société actuelle car le pays n’a pas totalement soldé ses comptes avec les responsables de ce massacre”, explique Choi Yong-bae. Une ambition cinématographique qui passe mal auprès d’éventuels producteurs, alors que certains cadres de la dictature de Chun Doo-hwan occupent encore aujourd'hui des postes importants dans le secteur privé ou public, d'après "The Telegraph".

Le cinéaste reçut une fin de non-recevoir des principaux investisseurs potentiels. “Certains expliquaient qu’ils ne pouvaient financer un film aussi sensible politiquement, d’autres avaient dit oui dans un premier temps avant de revenir sur leur parole”, raconte-t-il à l’agence de presse américaine AP.

Effet Streisand

Entre 2006 et 2012, le projet du film est donc mis en sommeil. Choi Yong-bae décide finalement de se tourner vers Internet, convaincu que “les gens qui ont lu ou vu le dessin animé et ceux qui connaissent l’histoire de leur pays veulent voir ce film”. Il met alors sur pied, début 2012, un site pour récolter des fonds auprès des internautes, ainsi qu'une page Facebook et un compte twitter pour promouvoir son grand dessein.

Bingo : en trois mois, 12 000 internautes, essentiellement sud-coréens, répondent à l’appel en apportant 400 000 dollars au pot. Mais surtout, d’après lui, cette Net-offensive a fait changer d’avis quelques investisseurs fortunés, qui ont finalement décider de sortir le chéquier. À moins de deux mois de la sortie, Choi Yong-bae a finalisé 90 % du budget de son film qui s’élève à 4,1 millions de dollars.

Au final, ceux qui auraient préféré que “26 years” ne voit jamais le jour, de peur que le film ne soulève des questions potentiellement dérangeantes pour la Corée du Sud, se retrouvent face à l’”effet Streisand” qui veut que plus on cherche à taire une information, plus le Web l’amplifie. Grâce à son coup médiatique, Choi Yong-bae a, en outre, augmenté les chances de réussir le lancement commercial du film.