Une douzaine de militantes du mouvement féministe ukrainien Femen ont manifesté seins nus ce mardi dans les rues du quartier de la Goutte d'Or à Paris, où elles ont installé "le premier centre d'entraînement" d'un "nouveau féminisme".
L’épaule d’agneau attendra cinq minutes. Le boucher hallal de la rue des Poissonniers, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, n’en revient pas. Le poissonnier, les mains dans la glace, en a perdu sa gouaille. Face au métro Château Rouge dans le nord-est parisien, une douzaine de femmes manifestent poitrine à l’air. Les militantes féministes de Femen, un groupe d'origine ukrainienne dont les membres sont connues pour leurs performances topless aux quatre coins de l’Europe, ont encore tombé le haut.
Ainsi dépoitraillées, elles défilent perchées sur des stilettos, fleurs dans les cheveux, aux cris de "Nudité, Liberté !", sous les regard médusés des habitants du quartier populaire de la Goutte d’Or, plus connu dans les médias pour ses prières de rue, son marché à la sauvette et son trafic de cigarettes.
Encerclées par une foule de journalistes excités, les Femen paradent avec leurs poitrines peintes ou percées jusqu’au Lavoir moderne parisien (LAM), salle de spectacle où elles ont établi leur QG ce mardi 18 septembre.
"Jusqu’à ce matin, on nous avait dit de ne pas manifester ici, que c’était trop dangereux. Mais ici, c’est chez nous, c’est notre quartier ! On savait qu’on ne choquerait personne", insiste Safia Lebdi, l’une des Femen françaises, avant d’ajouter, coquine : "En plus, on est jolies, les gens aiment bien nous regarder !". Effectivement, les Dames Nature se sont mues dans les rues pavées comme portées par la grâce, disséminant sur leur passage sourires et sifflements.
La révolution des tétons
Fondée en 2008 par l’Ukrainienne Anna Hutsol, l’organisation mène des actions non-violentes et un brin provocantes pour la promotion de la liberté, de la démocratie, du droit des femmes et contre l’asservissement sexuel, la violence conjugale ou encore l’oppression religieuse.
Au départ habillées, elles ont découvert leur méthode choc au hasard d’une bretelle de soutien-gorge qui a glissé sur l’épaule de la pétulante Sacha Chevtchenko. Pour la première fois, les filles parvenaient à faire parler d’elles et les médias se sont fait une joie de leur donner de la voix.
Depuis, elles se sont dévêtues sous les fenêtres de Dominique Strauss-Kahn, en octobre dernier, aux slogans de "Fuck me in Porsche Cayenne" ; devant le Parvis des droits de l’Homme à Paris, en mars, pour défendre la liberté des femmes musulmanes aux cris de "Plutôt à poil qu’en burka"; en Italie, au printemps, pour décrier les "bunga bunga" de Silvio Berlusconi ; et encore dans leur pays d'origine cet été, pour dénoncer la traite des femmes lors de l’ouverture de l’Euro-2012 de football.
Avec le succès sont arrivées également les premières critiques, notamment d’être des suppôts de l'ancienne Première ministre ukrainienne
Ioulia Timochenko, condamnée en 2011 à sept ans de prison pour abus de pouvoir. Mais Sacha Chevtchenko, l’une des deux fondatrices du mouvement, n’a que le mot "indépendance" à la bouche : "Des partis politiques ont essayé de nous récupérer mais nous sommes toujours restées indépendantes et nous n’avons jamais véhiculé que notre propre idéologie".
Cette magnifique fille de 24 ans, blonde comme les blés, a arrêté ses études pour militer à plein temps. Elle a été arrêtée une dizaine de fois, a effectué trois brefs séjours en prison et subi, comme ses co-activistes, de nombreuses pressions, intimidations et menaces. Mais il en faut plus pour détourner les Femen de leur "guerre sextremiste".
La France à l’âge de pierre du féminisme
Aujourd’hui, elles sont venues porter la bonne parole en France, restée bloquée, à les en croire, à l’âge de pierre du féminisme. "L’heure d’un nouveau féminisme et de la révolution a sonné. Je ne pensais pas que les Françaises auraient besoin de nous, mais maintenant que nous sommes là nous allons former une armée pour défendre les femmes du monde entier", lance Inna Chevchenko, l’une des leaders ukrainiennes du mouvement, dans son anglais aux accents slaves.
"Les femmes de toute couleur, tout poids, tout âge, toute religion et toute forme de seins sont les bienvenues pour rejoindre nos rangs de sextremistes pacifistes ! Notre corps sera notre arme !" En filigrane : faites la guerre en faisant l’amour. Au programme sports de combats, mais également yoga et exercices psychologiques.
"On veut former les femmes pour avoir une posture et faire face à la violence des flics, des maris violents, etc.", explique la militante française Safia Lebdi, dont le buste affiche l’injonction "Muslim, let’s go naked" (Musulmans, déshabillons-nous). C’est un "No Sharia" (Non à la charia) qui enlace de lettres noires les seins de l’écrivaine et metteure en scène libanaise Darina Al-Joundi. Alors qu’elle croyait avoir laissé derrière elle le monde du voile intégral quand elle s’est installée en France en 2005, elle découvre que l'oppression des femmes n’a pas épargné son pays d’accueil. Se mettre à nu s’est imposé à elle comme le seul moyen de protester contre la dictature religieuse, mais également la dictature politique ou patriarcale. Comme ses consœurs ukrainiennes, elle estime que si la France est un pays de droit, "il reste du travail : tous les jours des femmes meurent sous les coups".
Darina rappelle d’ailleurs que s’ouvrait ce même jour
le procès de quinze hommes jugés pour le viol collectif de deux jeunes femmes à Fontenay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Une histoire tristement banale que quelques paires de seins dévêtus une matinée d’automne auront contribué à mettre en lumière.