Un million et demi de personnes ont défilé mardi à Barcelone pour réclamer l'indépendance de la Catalogne, accusant Madrid d'entraîner leur région dans la crise. L'analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'Iris.
"In-inde-independencia !". À Barcelone, le Jour de la Catalogne, le 11 septembre, le traditionnel défilé indépendantiste s'est transformé en véritable marée humaine - les manifestants accusant le gouvernement central d'entraîner cette région du nord-est de l'Espagne dans la spirale de la crise. Fait exceptionnel, les organisations indépendantistes ou souverainistes, d’ordinaire divisées, ont réussi à fédérer près d’1,5 million de personnes autour de ce mot d’ordre. La crise peut-elle donner des arguments pour arracher l’indépendance ? Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques, analyse la situation pour FRANCE 24.
Comment expliquer l'ampleur de la grogne en Catalogne ?
Jean-Jacques Kourliandsky : Ce qui se traduit à Madrid par le mouvement des Indignés se traduit en Catalogne par des revendications indépendantistes. La Catalogne est l’une des régions les plus développées de l’Espagne et c’est la troisième région contributrice en matière d’impôts. Elle veut donc recevoir autant que ce qu’elle apporte. Les Catalans considèrent que, du fait qu’ils sont affectés par la crise autant que d’autres régions, ils devraient garder toutes leurs richesses et non pas compenser les difficultés des autres.
Un certain nombre d’associations souverainistes, qui réclament l’indépendance de la Catalogne, ont saisi cet évènement du calendrier traditionnel pour appeler les Catalans à signaler leur mécontentement à l’égard de Madrid et leur volonté d’accéder à une forme de souveraineté au sein de l’Union européenne.
Cet appel a dépassé les attentes, sans doute en raison de la gravité de la crise économique et sociale. Tout le monde a considéré qu’il s’agissait de la plus grande manifestation de rue jamais organisée en Catalogne. Les chiffres les plus élevés vont jusqu’à deux millions, selon les organisateurs de la manifestation. La fourchette la plus basse des autorités officielles est de 600 000 manifestants. C’est déjà énorme pour une région de 7 millions d’habitants.
Quelles pourraient être les suites politiques de cette immense manifestation ?
J.-J.K. : Il faut prendre en compte la réalité des rapports de force au sein du Parlement catalan. Les partis qui revendiquent l’indépendance sont très minoritaires. Convergence et Union, le parti nationaliste mais officiellement pas indépendantiste au pouvoir, a considéré que pour gouverner la Catalogne en situation de crise, il allait avoir besoin du soutien financier du gouvernement central. L’un de ses représentants a été sifflé lors de la manifestation. Convergence et Union a participé dans un cortège parallèle à celui des souverainistes. Il n’y avait donc pas d’homogénéité contrairement à ce que laisse penser la forêt de drapeaux sur les photos. La traduction politique de la manifestation reste à démontrer.
Madrid peut-il donner plus d’autonomie à la Catalogne ?
J.-J.K. : En période faste, le gouvernement espagnol se serait montré très rigide vis-à-vis de la revendication catalane. Mais pour l’instant, Madrid fait le dos rond. Le gouvernement est en situation de faiblesse compte tenu de la conjoncture économique et financière espagnole. Sa seule réaction a été de demander aux institutions européennes de rappeler clairement qu’une adhésion d’une Catalogne indépendante n’est pas possible dans l’état actuel des textes européens. Le porte-parole de la Commission européenne a fait une déclaration dans ce sens le 11 septembre. D’autre part, le gouvernement reste modéré parce qu’il sait que le gouvernement nationaliste de Convergence et Union a besoin du soutien de Madrid pour sortir de ses difficultés et qu’il n’est donc pas en position de créer des rapports de force brutaux.
Le gouvernement espagnol a la possibilité de proposer un nouveau pacte fiscal. Les autorités de Barcelone pourraient obtenir quelque chose qui se rapprocherait de la situation fiscale du Pays basque et de la Navarre. Ce sont les deux seules entités régionales en Espagne qui lèvent l’impôt avec une administration fiscale propre et négocient ensuite avec Madrid ce qu’elles apportent au pot commun. Les autorités catalanes réclament ce nouveau pacte fiscal afin de garder plus d'argent qu'aujourd’hui. Le dossier catalan pourrait profiter, par effet ricochet, du résultat des élections anticipées au Pays basque, à la fin du mois. Tous les sondages signalent que le vainqueur sera soit le Parti nationaliste basque qui se rapproche de Convergence et Union, soit la coalition indépendantiste qui représente la famille idéologique voisine de l’ETA.