À la suite d'un accord passé entre Washington et Kaboul, plus de 3 000 détenus de la prison de Bagram, considérée comme l'un des principaux symboles de l'occupation américaine du pays par la population locale, sont passés sous contrôle afghan.
AFP - Les Etats-Unis ont transféré lundi aux autorités afghanes la responsabilité de la prison controversée de Bagram, surnommée le "Guantanamo afghan", dans le cadre d'un accord qui concerne plus de 3.000 détenus mais laisse en suspens le sort de plusieurs centaines d'autres.
"Nous sommes aujourd'hui les témoins d'une cérémonie glorieuse qui marque le transfert de la gestion des prisonniers afghans aux Afghans eux-mêmes", s'est félicité le ministre afghan de la Défense, Enayatullah Nazari, lors d'une cérémonie organisée sur place, à une soixantaine de km au nord de la capitale Kaboul.
Plus de 3.000 détenus sont ainsi désormais placés sous la responsabilité des autorités afghanes, ont précisé Safiullah Safi, un commandant de police de l'armée afghane, et le colonel Robert Taradash, chef des troupes américaines dans la province de Parwan et plus haut responsable américain présent.
De nombreux combattants et responsables présumés de la rébellion des talibans ou d'Al-Qaïda sont écroués dans cette prison, mise sur pied il y a une décennie à côté de l'immense base américaine du même nom et devenue depuis aux yeux de nombreux Afghans un symbole de l'occupation américaine.
Le transfert entériné lundi est le fruit d'intenses tractations. Début janvier, alors qu'une esquisse de négociations s'amorçait entre talibans et Américains, le président afghan Hamid Karzaï, qui selon plusieurs sources se sentait exclu de cette ébauche de processus de paix, avait ordonné à Washington de transférer rapidement à son administration le contrôle de la prison.
Un accord avait finalement été annoncé le 9 mars, prévoyant le transfert des prisonniers de Bagram au gouvernement afghan d'ici ce lundi 10 septembre.
Ce transfert était entre-temps devenue l'une des conditions posée par Kaboul à la signature d'un accord de partenariat stratégique à long terme avec les Etats-Unis.
A l'approche du retrait, fin 2014, de la force internationale de l'Otan commandée par les Américains, qui soutient depuis plus de dix ans le fragile gouvernement afghan face aux talibans, ce transfert reste avant tout symbolique aux yeux de nombreux analystes, qui relèvent de tenaces divergences entre Washington et Kaboul sur les modalités de leur accord.
Le sort des plus de 600 prisonniers qui sont arrivés à Bagram après le 9 mars, demeure ainsi incertain, car l'accord conclu en mars ne concernait que les 3.100 prisonniers détenus à l'époque. Parmi les 600 récemment arrivés figurent 50 non-Afghans qui pourraient se retrouver détenus indéfiniment sans motif clair.
Selon certaines sources, les Américains seraient réticents à un transfert total par crainte que des prisonniers de grande importance ne soient libérés par Kaboul pour des raisons politiques ou de corruption.
Autre divergence, selon les autorités afghanes, les troupes étrangères n'ont plus le droit depuis lundi d'interpeller et de détenir des citoyens afghans. Or les Etats-Unis estiment avoir toujours le droit de capturer et détenir des protagonistes du conflit afghan car l'accord du 9 mars portait uniquement sur les 3.100 détenus alors emprisonnés à Bagram.
Enfin, selon Abdul Waheed Wafa, analyste et directeur du Centre afghan à l'université de Kaboul, "tout le monde sait que les autorités afghanes n'ont pas la capacité de gérer la prison de Bagram".
Des organisations de défense des droits de l'Homme et même des ex-prisonniers afghans craignent la multiplication des cas de tortures à la prison de Bagram sous gestion afghane.
Selon Ghaleb, 55 ans, ancien moudjahidine arrêté en 2003 et détenu aux prisons de Guantanamo et de Bagram, les Américains traitent mieux leurs prisonniers que les Afghans. "Plusieurs prisonniers ont dit avoir eu de meilleures conditions de détention sous le commandement américain" car il y eu de nombreux cas de torture dans les geôles afghanes, a dit à l'AFP cette homme refusant de donner son nom complet.
Cela fait toutefois plusieurs années que des organisations de défense des droits de l'Homme s'inquiètent de cas de mauvais traitements de prisonniers à Bagram.