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Si, cet été, la fonte record de la calotte glaciaire de l'Arctique inquiète les écologistes, elle fait aussi le bonheur de certaines entreprises de fret qui voient dans l'ouverture du passage du Nord une alternative économique au canal de Suez.

Océan Arctique, nous voilà ! La Chine vient de devenir le dernier pays en date à avoir traversé en bateau le passage du Nord-Est, qui relie les océans Pacifique et Atlantique en passant par le nord de la Russie. Profitant d’un été particulièrement meurtrier pour la banquise, le brise-glace Xuelong, ou Dragon des neiges, est arrivé au port Sundahöfn, à Reykjavik, le 16 août.

Ce voyage souligne l’intérêt grandissant de Pékin pour cette route maritime alors que la fonte des glaces aiguise les appétits de plusieurs pays qui y voient un nouvel eldorado commercial à même de concurrencer le canal de Suez.

En effet, utiliser les passages du Nord (l'est, par le nord de la Russie, ou l'ouest par le nord du Canada) plutôt que le très embouteillé canal de Suez - 17 799 traversées en 2011 - “divise par deux la distance pour aller de l’Asie à l’Europe”, explique à FRANCE 24 Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et spécialiste du réchauffement climatique. Felix H. Tschudi, le PDG de la compagnie maritime norvégienne Tschudi Shipping Co. AS, a précisé, le 21 août, au quotidien japonais Asahi Shimbun, les avantages économiques de ces routes polaires : “Emprunter le passage du Nord coûte 839 000 dollars de moins que de passer par le canal de Suez”. Un gain financier essentiellement dû aux économies de carburant qu'il permet, puisqu’il faut transporter 1 000 tonnes de fuel de plus pour traverser le passage égyptien.

Été de tous les records

Longtemps pourtant, les routes polaires sont restées un Éden commercial impraticable, en raison de la banquise éternelle du Grand Nord. Mais, réchauffement climatique oblige, la fonte des glaces en été permet “depuis 2005 à des navires de faire la traversée des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est”, rappelle Valérie Masson-Delmotte. L’an dernier, 37 navires ont emprunté cette route.

L'année 2012, elle, vient plus que jamais réchauffer le cœur des pays - Japon, Danemark, Canada ou encore Allemagne et maintenant Chine - qui misent sur ces nouvelles voies maritimes. “La banquise y est actuellement à son niveau le plus bas jamais mesuré”, souligne Valérie Masson-Delmotte. Une affirmation corroborée par le National Snow and Ice Data Centre américain : à la mi-août, la surface gelée de l’océan Arctique ne dépassait pas les 5,09 millions de km², soit 50 % de moins que la moyenne enregistrée entre 1979 et 2000 et à peine plus que la superficie totale des pays de l’Union européenne. “Les chiffres que nous enregistrons sont impressionnants”, constate Mark Serrez, son président, au site américain Wired.

Au delà de l’ampleur du phénomène, c’est surtout sa précocité qui interpelle les spécialistes. “Généralement, le pic de fonte des glaces intervient à la fin de septembre”, souligne Valérie Masson-Delmotte. La banquise devrait ainsi continuer à céder du terrain pendant quelques semaines encore. La route du Nord est donc navigable cet été pendant près de deux mois, contre quelques semaines seulement les années précédentes.

Reste que si “une nouvelle frontière est bien en train de s’ouvrir”, selon Valérie Masson-Delmotte, les deux routes sont encore loin d’être des alternatives à plein temps au canal de Suez. Pour la paléoclimatologue, il faudra, en effet, encore quelques décennies avant d’en arriver là.

Et l'environnement dans tout ça ?

D’abord, parce que, d’une année sur l’autre, les conditions climatiques peuvent toujours fortement varier dans l’océan Arctique. Ainsi, l’été 2013 sera peut-être beaucoup moins clément que celui de cette année. Un caractère aléatoire peu compatible avec la nécessité économique de prévoir à l’avance les trajets...

Ensuite, les infrastructures qui jalonnent ce passage restent, pour l'heure, balbutiantes. Il n’y a ainsi que très peu de ports sur cette route, ce qui peut poser problème en cas d’accidents... et faire monter le coût des assurances. Un inconvénient qui, pour certains experts, implique que chaque navire commercial ait recours aux services d'une escorte navale, ce qui coûte environ 400 000 dollars, selon Liu Miaojia, un expert auprès de l’association internationale de navigation Bimco.

Le coût pourrait, surtout, être encore plus élevé pour l'environnement. La région présente “un écosystème bien plus sensible qu’ailleurs, et il faudrait éviter de trop y développer l’activité commerciale”, affirme au quotidien japonais Asahi Shimbun la fondation Bellona, une ONG de défense de l’environnement basée en Norvège. La pollution engendrée par le passage des navires accélèrerait encore la fonte des glaces et donc la montée du niveau des mers. En cas de catastrophe telle qu’une marée noire, par exemple, le processus de nettoyage serait en outre bien plus problématique qu’ailleurs dans l’océan Arctique en raison de la banquise.