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Mohamed Morsi s'affranchit de la tutelle des militaires

Le président égyptien Mohamed Morsi a, dimanche, mis à la retraite le maréchal Tantaoui, chef de l’armée et ministre de la Défense. Il a également retiré certaines prérogatives aux militaires. Décryptage.

Coup de théâtre en Égypte, dimanche. Moins d’une semaine après avoir formé un gouvernement au sein duquel le maréchal Tantaoui prenait les commandes du ministère de la Défense, le président égyptien Mohamed Morsi a décidé de mettre à la retraite cette figure de l’ancien régime. L’emblématique maréchal, longtemps ministre de la Défense de Moubarak, a été nommé conseiller du président.

Morsi a par ailleurs annulé les dispositions qui élargissaient les pouvoirs de l’armée et s’est réattribué le pouvoir législatif. "Le président a décidé d'annuler la déclaration constitutionnelle adoptée le 17 juin" par le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirigeait à l'époque le pays et dans laquelle les militaires s'arrogeaient notamment le pouvoir législatif, a annoncé le porte-parole du président, Yasser Ali.

Cette "déclaration" adoptée après la dissolution de l'Assemblée du peuple dominée par les islamistes et juste avant l'annonce de la victoire de Mohamed Morsi à la présidentielle, avait provoqué une profonde crise politique entre l'armée et les islamistes. En gardant la main sur le pouvoir législatif, les généraux conservaient un droit de veto sur toute nouvelle loi ou mesure budgétaire et se réservaient aussi un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution.

L’armée négocie l'impunité

Des milliers de sympathisants islamistes se sont rassemblés dimanche dans la soirée place Tahrir, au Caire, pour fêter les annonces du président. La nouvelle a également provoqué une véritable effervescence dans les milieux politiques et les réseaux sociaux, où l’on se demandait comment les militaires et le maréchal Tantaoui avait pu accepter de se soumettre au pouvoir des Frères musulmans.

Or, il semble bien qu’il y ait eu négociation. Selon une source militaire officielle citée par l’agence Mena, les changements décidés par le chef de l’État ont été avalisés par l’armée. "Ce qui s'est fait l'a été en coordination et après des consultations avec les forces armées", a indiqué cette source anonyme, en démentant les "rumeurs de réactions négatives aux changements à la tête des forces armées".

Pour Alexandre Buccianti, correspondant RFI pour FRANCE 24, des négociations ont bel et bien eu lieu. "Cela semble s’être fait relativement à l’amiable, et surtout, il y a eu des concessions des deux côtés, assure-t-il. Bien qu’il soit mis à la retraite, le maréchal Tantaoui hérite d’un poste honorifique, ainsi que le chef d’État major. Ils obtiennent tous deux les plus hautes distinctions égyptiennes", relève-t-il. D’autres haut-gradés de l’armée ont été écartés de leurs postes, mais non sans contrepartie. "Les autres chefs des armées, comme l’armée de l’air, la défense aérienne, la marine, se retrouvent à des postes prestigieux, comme président du Canal de Suez où encore à la tête d’une énorme usine militaire", rapporte-il encore.

Mais la plus importante des contreparties obtenues pourrait probablement être, comme le souligne Alexandre Buccianti, l’assurance donnée par le chef de l’état "qu’il n’y aurait, à l’avenir, pas de poursuites judiciaires contre les militaires comme le réclament les révolutionnaires qui les accusent d’avoir tué nombre d’entre eux".

Desserrer l’étau de l’armée

Élu en juin dernier et issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi a alterné bras de fer et compromis avec les militaires. Par les décisions qu’il a prises dimanche, il réaffirme sa volonté d’en finir avec l’omnipotence de l’armée en Égypte. Toutes les décisions prises, qu’il s’agisse de l’annulation des prérogatives législatives du CSFA ou du limogeage de Tantaoui - et d’autres haut-gradés - vise à desserrer l’emprise des généraux, traditionnellement très puissants en Égypte, sur l’exécutif.

Morsi est, en effet, le premier civil à accéder à la magistrature suprême depuis le renversement de la monarchie par les "officiers libres" en 1952. Dans la soirée, le président s'est toutefois défendu de vouloir marginaliser des personnes ou des institutions. "Je ne leur [les membres des forces armées] veux que du bien. Je veux qu'ils se consacrent à une mission, la protection de la nation", a-t-il assuré. Il a ajouté vouloir "faire en sorte que nous avancions vers un avenir meilleur, avec une nouvelle génération, un sang neuf longtemps attendu".

Ce coup de théâtre politique survient alors que l'Égypte fait face à une grave crise dans le Sinaï, où 16 de ses gardes-frontières ont été tués le 5 août près de la frontière avec Israël et Gaza. L'armée est, depuis, engagée dans une offensive d'envergure contre les "éléments terroristes" accusés d'avoir mené ou soutenu l'attaque. Selon Abdallah al-Ashaal, professeur en sciences politiques à l’université américaine du Caire interrogé sur l’antenne de FRANCE 24, "ce qui s’est passé à Rafah a mis en évidence les défaillances de l’armée et a montré qu’elle ne pouvait être engagée à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire". Pour lui, la mort des 16 garde-frontières est échec cuisant pour l’armée, qui a dû également les pousser à accepter ce compromis.

Jusqu’où ira Mohammed Morsi ?

Plus d’un an et demi après la chute de Moubarak l’armée semble s’être effacée pour laisser place au pouvoir civil. Mais, en asseyant de la sorte son pouvoir face aux militaires, Mohamed Morsi finit par concentrer de nombreux pouvoirs. À l’instar de l’armée, l’opposition, les libéraux de gauche et les révolutionnaires pourraient être eux être aussi écartés.

"Aujourd’hui Mohamed Morsi est un super président", relève Alexandre Buccianti. Il concentre en effet non seulement l’exécutif, mais aussi le législatif puisqu’il représente à lui seul le parlement depuis sa dissolution. L’analyste indépendant Issandr el-Amrani, écrit ainsi sur son blog ce lundi, "Morsi a effectivement, sur le papier, des pouvoirs dictatoriaux. Reste à savoir comment il va les utiliser".

Une question se pose alors : le président qui est désormais en mesure d’émettre des lois, laissera-t-il la Cour constitutionnelle agir ou va-t-il prendre les devants comme il l’a fait avec l’armée, en restreignant ses prérogatives pour l’empêcher de contester ses décisions ?
Le pays est pour l’heure suspendu à la décision de la Cour constitutionnelle attendue le 4 septembre, qui doit rendre son avis sur la légalité de la commission constituante désignée par le parlement avant sa dissolution. Or, parmi les changements décidés dimanche, le président égyptien Morsi s'octroie le droit, si l'actuelle commission constituante ne peut "achever son travail", d'en former une nouvelle "représentant toutes les composantes de la société égyptienne".