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Le procès Colonna privé de son accusé

Yvan Colonna, qui comparaît en appel pour le meurtre du préfet de Corse, Claude Érignac, en 1998, a quitté son procès pour protester contre le refus de la cour de procéder à une nouvelle reconstitution des faits. Simple coup de bluff ?

En quittant le tribunal d’assises spécial de Paris en pleine audience, le 11 mars,  Yvan Colonna, accusé du meurtre du préfet Claude Érignac, à Ajaccio, en 1998, a provoqué un énième rebondissement dans un procès auquel le contexte politique et les maladresses de la cour donnent de faux airs de complot, selon la défense.

Le refus du président Didier Wacogne de procéder à une nouvelle reconstitution des faits "a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase", a déclaré à la presse Gilles Simeoni, l'un des avocats de Colonna.

Cette fois, Yvan Colonna a donc mis sa menace à exécution et ses avocats lui ont emboîté le pas. Le président a, quant à lui, décidé que la cour continuerait à siéger sans accusé ni défense.



Justice et politique

Yvan Colonna, berger corse de 39 ans et sympathisant de la cause indépendantiste corse, est jugé en appel après une condamnation, en première instance, à la réclusion criminelle à perpétuité, fin 2007.

L’identité de la victime - un préfet -, a très vite transformé le procès en affaire politique. Les couacs de l’enquête policière - bâclée, court-circuitée, compliquée par les rivalités entre polices et par l’enquête parallèle diligentée par le successeur d’Érignac – y ont ajouté un air de mauvais polar.

Il en résulte un dossier fragile, où la culpabilité du suspect repose sur des déclarations (voir articles précédents) fragiles - leurs auteurs sont revenus dessus - et une circonstance aggravante, la fuite de Colonna de 1999 à 2003. Mais aucun témoin oculaire, ni preuve matérielle n’a, pour l’instant, permis d'étayer la thèse de l’accusation, selon laquelle Colonna serait le tueur.



La présomption d’innocence en question

Les avocats de Colonna n’ont, de leur côté, eu de cesse d’exploiter la faiblesse du dossier, faisant de la présomption d’innocence leur cheval de bataille et dénonçant la partialité de la cour.

"Depuis mai 1999, il y a une vérité absolue : je suis l'assassin du préfet Érignac. (…) M. Sarkozy a reçu les parties civiles à de nombreuses reprises, il s'est engagé à ce que je sois condamné. Comment voulez-vous que j'ai confiance dans la justice ?", a déclaré Yvan Colonna lors de l’audience du 10 février. En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’était félicité de l’arrestation de "l’assassin du préfet Erignac".


"On demande à Yvan Colonna de prouver son innocence, alors que c’est à l’accusation d’apporter la preuve de la culpabilité", ajoutait Gilles Siméoni devant la presse, le 12 mars, annonçant dans le même élan qu’il entendait saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour protester contre la poursuite du procès.



Une affaire maudite

Comme l’indique le quotidien Le Monde daté du 13 mars, le code de procédure pénale prévoit le refus de comparaître. La jurisprudence veut que, si ce refus n’est que l’expression de la volonté de l’accusé, "le défaut de la procédure ne vicie pas la procédure". Mais force est de constater que, depuis le début du procès, le 9 février, il ne se passe pas une semaine sans que la mécanique judiciaire ne se grippe.

Parmi les multiples coups de théâtre, on retiendra celui du 13 février : un témoin de premier ordre, Didier Vinolas, ancien chef de cabinet du préfet assassiné, affirme pour la première fois que "d’autres personnes ont participé à l'assassinat et qu'elles n'ont jamais été arrêtées". Le président de la cour est mis en difficulté lorsqu’il apparaît que Vinolas lui a écrit pour le mettre au courant de sa démarche, mais qu’il n’a pas jugé bon de lire la lettre ni de la communiquer à la défense.

"Il est bien clair que cette affaire est maudite depuis le départ", commentait l’analyste politique Alain Duhamel sur les antennes de la radio RTL. "Dès qu'il s'agit d'un procès politique, la moindre des choses, c'est de veiller à ce qu'il n'y ait en aucun cas l'ombre d'un doute, le moindre soupçon qui puisse continuer à peser, ne serait-ce que pour éviter d'aller en cassation."


Colonna gagnera-t-il la bataille de l’opinion publique ?

Les ratés du procès commencent à déranger au-delà des cercles de soutien traditionnels à Colonna et à la cause corse. Certains vont même jusqu'à faire des comparaisons avec les plus grands dénis de justice – de l'affaire Dreyfus à celle d'Outreau.

Catherine Colonna, sœur d’Yvan, donnait le ton dès 2007 dans l’hebdomadaire Elle : "Le procès d’Outreau a montré que des erreurs judiciaires étaient possibles. Or, le terrorisme, dans l’affaire qui concerne Yvan, comme la pédophilie, dans l’affaire d’Outreau, sont des éléments qui cristallisent les peurs de la population. Heureusement, le doute est en train de reprendre sa place dans l’opinion publique grâce à cette question fondamentale : 'Et s’il était innocent ?' "

Philippe Lemaire, avocat de la famille Érignac, a dénoncé mercredi "une méthode de combat inacceptable" consistant à "ne pas aborder le fond - ou le moins possible - et à multiplier les incidents". La veuve de Claude Érignac attend, elle, depuis 10 ans que la justice se prononce pour pouvoir faire son deuil.