Un projet d'article de la future Constitution stipule que la femme serait un "complément" de l’homme et non son "égale". Indignée, la société tunisienne craint une remise en cause des libertés des femmes.
"Je suis une femme tunisienne et avant d’être une femme ou une Tunisienne, je suis un être humain et une citoyenne à part entière". La phrase ouvre la pétition lancée cette semaine par Selma Mabrouk, députée Ettakatol (gauche) de l’Assemblée nationale constituante (ANC), scandalisée par un projet d’article de loi pour la future Constitution remettant en cause l’égalité entre homme et femme.
Le 1er août dernier, en effet, la commission droits et libertés – une des commissions consultatives de l’ANC chargées d’élaborer les différents articles de la Constitution - a adopté, grâce aux voix des députés islamistes d’Ennahda, un texte équivoque stipulant que "l’État assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l'homme au sein de la famille et en tant qu'associée de l'homme dans le développement de la patrie."
"L’égalité est une nécessité"
Si le texte n’a pas encore été voté en séance plénière, le simple fait qu'il ait été adopté par une commission constitue une régression sociale dangereuse, estiment de nombreuses associations tunisiennes. "Ce texte suppose que la notion de ‘femme’ est uniquement définie en fonction de l’homme et non en fonction de sa propre citoyenneté, en tant que personne à part entière", s’insurge Selma Mabrouk.
"C’est un revirement total par rapport aux promesses faites au cours de la campagne électorale par tous les courants politiques qui avaient affirmé leur attachement aux droits des femmes et leur volonté de les faire évoluer", déplore de son côté Sondès Garbouj, la présidente de la section tunisienne d’Amnesty International qui s’inquiète d’une islamisation rampante de la Tunisie.
Une inquiétude partagée sur la Toile par de nombreux internautes scandalisés à l’idée que la femme soit réduite au simple "complément" de l’homme. "L’égalité est une nécessité", rappelle Lina Ben Mhenni, la célèbre bloggeuse de "Tunisian girl" dans un billet dénonçant l’insidieuse mise en place d’un système exclusivement patriarcal. Même indignation sur Facebook, où une page intitulée "Rassemblement devant l’ANC pour le refus de la complémentarité" a été créée ce mercredi matin. Plus offensifs, certains internautes n’hésitent pas à assimiler les femmes voilées, à l’image de Farida Laabidi, une députée d’Ennahda, à des "esclaves qui s’ignorent".
Bataille linguistique ?
Face à cette agitation médiatique, les leaders d’Ennhada jouent la carte de l’étonnement, tout en estimant que ce mouvement de contestation n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Selon eux, ce projet de texte de la Loi fondamentale ne remet pas en cause l’égalité homme-femme. "Complémentarité ne veut pas dire inégalité", explique Mehrezia Labidi-Maïza, députée Ennahda et vice-présidente de l’Assemblée nationale constituante. "Dans la complémentarité, il y a justement un échange, un partenariat." Un double-langage dont se méfient les associations qui craignent au contraire que l’absence du mot "égalité" dans la Constitution ne leur soit, un jour ou l’autre, préjudiciable.
Il faut dire que jusqu’ici, aucune loi n’était venue remettre en cause les acquis des femmes – les plus avancés dans le monde arabe - depuis l’adoption, en 1956, du code du statut personnel. Cette série de lois progressistes, écrites sous l’impulsion de l’ancien président Habib Bourguiba, garantissent notamment l’égalité des sexes, accordent aux femmes le droit de divorce et interdisent la polygamie ou la répudiation. "Nous nous retrouvons aujourd’hui face à des propositions rétrogrades et passéistes", ajoute Sondès Garbouj.
"Le slip d’Habiba Ghribi nous a honorés… Qu’est-ce que les caleçons des islamistes nous ont rapporté ?"
Depuis quelques jours, la lutte s’organise et les appels à manifester se multiplient. Les associations féministes tunisiennes ont décidé de descendre dans les rues de Tunis mercredi 8 août pour défendre leur émancipation et demander le retrait définitif de l’article. Elles affirment d’ailleurs qu’elles continueront à se mobiliser tant que la Constitution ne garantira pas les objectifs de la révolution : liberté, dignité, égalité et justice sociale.
Un combat qui, clin d’œil ironique de l’actualité, rejoint celui que mène, malgré elle, Habiba Ghribi, première Tunisienne médaillée olympique. Loin de pouvoir goûter sereinement au bonheur de fouler le podium, cette athlète qui a décroché l’Argent aux 3000 mètres steeples le 6 août, affronte en ce moment les invectives des islamistes de son pays qui lui reprochent d’avoir couru jambes et ventre découverts.
Dans leur face-à-face avec les fondamentalistes religieux, les féministes tunisiennes pourront toutefois compter sur le soutien d’un homme : Ibrahim Kassas, député de l’ANC, un homme politique aussi réputé pour son comportement fantasque que pour son franc parler. Fidèle à sa réputation, il n’a pas manqué l’occasion de rappeler, mardi 7 août lors d’une émission de radio, son sentiment à l’égard de cette polémique sur l’égalité des sexes. "Le slip d’Habiba Ghribi nous a honorés… Qu’est-ce que leurs caleçons à eux [les islamistes] nous ont rapporté ?", a-t-il lancé à l’antenne, définitivement culotté.