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Alors qu’elle est longtemps restée en dehors des combats, Alep, la grande métropole du nord de la Syrie, est entrée en résistance contre les troupes de Bachar al-Assad. De violents affrontements se déroulent dans la ville depuis cinq jours.

Après avoir porté le combat à Damas, les rebelles ont investi le front d’Alep le week-end dernier. Pour le cinquième jour consécutif, des combats ont éclaté dans la deuxième ville du pays. Le 24 juillet, les insurgés ont lancé une attaque pour prendre le centre-ville et les combats font rage près de Bab al Hadid et Bab al Nasr, deux des portes du vieux quartier de la ville. La veille au soir, un responsable du conseil militaire rebelle avait affirmé que les insurgés avaient "libéré" plusieurs quartiers d'Alep.

"Elle [la révolution] avance à petits pas, en claquettes et tee-shirt, façon camouflage troué, de succès modeste en débandades cuisantes, portée par la certitude inébranlable de la victoire", écrit dans "le Monde" du 24 juillet Florence Aubenas, l'envoyée spéciale du quotidien à Alep. Jusqu’à la semaine dernière, Alep était restée relativement épargnée par les violences. Mais quand  Bachar al-Assad a annoncé vouloir reprendre les choses en main à Damas, quand les roquettes se sont mises à pleuvoir sur la capitale tandis que le ramadan débutait, les hommes d'Alep ont commencé le combat sur leurs terres

"Pour soulager les rebelles de Damas, les hommes de la campagne d’Alep ont lancé l’assaut et les rebelles sont arrivés par les quartiers du nord-est (Tarik el-Bab) et du sud-est d’Alep (Salaheddine) où se trouvent les quartiers informels dévoués à l’opposition", explique à FRANCE 24 Fabrice Balanche, directeur de recherche à la Maison de l'Orient et de la Méditerranée. Les rebelles ne contrôleraient pas en revanche les quartiers centraux et ceux de l'ouest, peuplés par les habitants plus favorisés ainsi que par les chrétiens, des populations qui expliquent en partie l’entrée en résistance tardive d'Alep.
Une entrée en résistance tardive
La turquie ferme ses postes-frontières avec la Syrie

La Turquie va fermer ses postes-frontières avec la Syrie à partir de mercredi pour des "raisons de sécurité", alors que les rebelles syriens se sont emparés la semaine dernière de plusieurs postes côté syrien, a affirmé une source officielle turque.

"Nous avons pris une telle mesure pour nos citoyens pour des raisons de sécurité", a déclaré ce responsable turc sous le couvert de l'anonymat. "La réouverture dépendra des développements sur le terrain".

La mesure concerne les ressortissants turcs, a indiqué cette source. Les étrangers qui voudront passer la frontière devront signer un document les informant des dangers qu'ils encourent, a-t-elle ajouté.

La frontière turco-syrienne, longue de 877 kilomètres, comprend sept postes-frontières en activité.
 

Dans cette ville qui lui a été plutôt favorable, Bachar al-Assad garde et protège notamment des usines d’armements, maintenant son emprise sur le nord du pays : "Si on tient Alep, on tient le nord du pays", résume Fabrice Balanche. Pour les rebelles, l'enjeu est à peu de chose près le même : en contrôlant la ville et sa région, elle peut espérer mettre en place un couloir sécuritaire jusqu'à la frontière turque et faire d'Alep la première grande ville contrôlée par l'opposition, comme les insurgés libyens l'avaient fait pour Benghazi, dès le début de l'insurrection du 17 février en Libye. "Si Alep tombe aux mains de l'insurrection qui pourrait alors y former un gouvernement provisoire comme l'avait fait le CNT à Benghazi, c'est un coup dur pour le régime qui perdrait la deuxième place forte du pays", poursuit Balanche. 

Souvent présentée comme la capitale économique de la Syrie  - bien qu’elle ne concentre que 20% de l’activité économique du pays -, la métropole du nord n’en reste pas moins un important carrefour commercial, qui concentre industries manufacturières et textiles et attire une classe bourgeoise qui a plus à perdre qu’à gagner dans la révolution. "La bourgeoisie qui s’y est constituée a craint la révolution et les révolutionnaires issus des classes populaires et rurales qu’elle a toujours méprisées. Les bourgeois ont craint pour leurs commerces, leurs entreprises", analyse Fabrice Balanche.
 
Au rang des raisons qui peuvent également expliquer l’insurrection tardive à Alep : le souvenir douloureux de la répression sanglante contre les Frères musulmans dans les années 1980. Moins connu que le massacre de Hama, perpétré par Haffez al-Assad, le père de Bachar qui a assiégé la ville et tué entre 20 et 30 000 personnes pour mettre fin à la lutte armée que les Frères avaient lancé contre le régime baasiste, Alep a fait les frais de la vindicte autoritaire de Assad père de 1979 à 1982.
"Il y a non seulement eu une forte répression avec des milliers de morts et la destruction d'une partie la vieille ville d’Alep, mais surtout quinze ans de punition derrière. Alep a été rabaissée, tous les grands chantiers ont été arrêtés, l’autoroute entre Lattaquié et Alep suspendue", poursuit Fabrice Balanche qui, ayant lui-même vécu à Alep dans les années 1990 ,se souvient des coupures d’électricité qui duraient plus de douze heures faute d'un réseau électrique stable.
C’est à l’arrivée de Bachar al-Assad au pouvoir en 2000 que les choses ont changé. Il a assuré les élites de son soutien et s’est efforcé de réactiver Alep pour jouer la concurrence avec Damas. Les grands travaux ont alors été relancés et le rapport entre Alep et Damas rééquilibré, valant à l’actuel président une forme de reconnaissance de la part des Alepins. "Bachar al-Assad a attendu que les Alepins viennent le solliciter et il a joué la carte du pardon avant de relancer l’activité de la ville. Il a développé l’aéroport et la bourgeoisie s’est remise à faire des affaires et à respirer", ajoute le chercheur.  
Le vent tourne 
 

La répartition des minorités religieuses en Syrie

Pour autant, Bachar al-Assad perd peu à peu ses soutiens traditionnels à Alep depuis qu’un responsable du conseil militaire rebelle a annoncé le 23 juillet au soir "une première étape vers la libération." Si le régime peut toujours compter sur le soutien des alaouites, minorité à laquelle appartient son clan, les chrétiens et les Kurdes, qui hésitent encore à rallier l’opposition, commencent néanmoins à montrer des signes de lassitude à l’égard du régime.
Selon Fabrice Balanche, les Kurdes tentent de profiter du désordre généralisé pour jouer la carte autonomiste tandis que les chrétiens "essayent simplement de sauver leur vie". L’Armée syrienne libre (ASL) de son côté s’est engagée à protéger les civils et notamment les minorités chrétiennes et alaouites, mais aussi les Arméniens, les Assyriens, les Kurdes et les chiites.
Les hommes de la région, issus des des campagnes et des bastions insurgés, sont donc de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs de l’opposition, persuadés de mener la Syrie vers la liberté. Si les hommes du régime ont l'armement pour eux, disposant d'une centaine de pièces d'artillerie, de milliers de chars et de l'aviation, l'opposition dispose du soutien populaire et du contrôle des quartiers où les blindés ne peuvent circuler en raison de l'étroitesse des rues dans la vieille ville classée patrimoine mondial de l'Unesco. "Les opposants sont moins armés mais ils ont pour eux le nombre, le soutien des habitants et ils peuvent mener une guérilla. Bachar lâchera Alep avant Damas", prédit le chercheur.