
David Thomson, correspondant de FRANCE 24 à Tunis, revient sur les enjeux et les incidents qui ont marqué le congrès du parti islamiste au pouvoir en Tunisie.
Après cinq jours de débats parfois houleux, le parti islamiste tunisien Ennahda a achevé ce lundi 16 juillet son 9e congrès, le premier depuis sa victoire aux élections législatives d'octobre 2011. Si le rendez-vous semble conforter la ligne modérée adoptée par son chef, Rached Ghannouchi, il a également mis en relief les divisions qui demeurent au sein du parti et les relations difficiles que les islamistes entretiennent avec la presse. Décryptage avec le correspondant de FRANCE 24 à Tunis, David Thomson.
France24.com - Que ressort-il de ce congrès historique du parti islamiste Ennahda ?
David Thomson - Le rendez-vous était capital pour le parti. Ce congrès est avant tout une véritable démonstration de force qui vise à montrer à l’opposition à quel point elle ne peut pas rivaliser. Mais il a également permis à Ennahda de renouveler sa doctrine et de rédiger une charte commune. C'était l'occasion de mettre au jour tous les courants de pensées qui existent au sein du parti. De nombreux sujets ont été abordés et chacun a pu librement exprimer son point de vue sur chacune des questions sociétales, politiques et économiques qui ont été posées.
Le résultat de l'élection des instances dirigeantes permettra aussi d’avoir une vision claire de l’importance des courants internes du parti [lundi soirn, Rached Ghannouchi a été réelu à la tête du parti, ndlr]. On affirme souvent, sans trop de preuves, que la base militante est radicale. Je pense que les résultats vont montrer que le courant moderniste est majoritaire. Quant à l’ambiguïté du discours et au risque de dérives radicales que certains pointent du doigt, il faut rester prudent. Il faut bien faire la distinction entre le ministère de la Justice et le parti Ennahda. Les affaires de peintures jugées blasphématoires (voir ci-contre) ou des caricatures de Mahomet sur Facebook sont du ressort de la justice tunisienne et de quelques juges zélés mais n’émanent pas, à mon sens, du parti Ennahda.
F24.com - Rached Ghannouchi est-il contesté au sein du parti Ennahda ?
D. T. - Il n’est pas encore élu à la tête du parti mais sa victoire ne fait aucun doute. Son pouvoir sera légitime car l'élection s’est déroulée à la régulière. J’ai participé à plusieurs élections de délégués locaux et tout s’est passé de manière très démocratique.
Les divergences qui existent au sein du parti peuvent néanmoins lui attirer de vives critiques. Historiquement, le parti a été scindé en deux clans avec, d’un côté, les anciens exilés, dont Ghannouchi, et, de l'autre, ceux qui sont restés en Tunisie sous Ben Ali. Des points de divergence sont nés de cette division notamment sur le plan de la morale et de la religion. Les militants plus conservateurs reprochent à Ghannouchi ses compromis jugés trop libertaires et son refus d’inscrire la charia [loi coranique] dans la Constitution. Sur le plan économique, les militants s'inscrivant à gauche prônent un État-providence alors que les plus libéraux veulent favoriser le libre entreprenariat et limiter l’intervention de l’État. À tout cela s’ajoute l’opposition entre la jeune garde du mouvement et les anciens. Ghannouchi va être élu pour un mandat de deux ans, une période de transition nécessaire pour construire la nouvelle identité du parti.
F24.com - Certains journalistes se sont plaints de ne pas avoir pu travailler librement au cours de la troisième journée du congrès. Quelle portée accorder à ces incidents ?
D. T. - Certaines familles de migrants disparus en tentant la traversée de la Méditerranée ont profité de l’intérêt médiatique suscité par le congrès pour faire entendre leur cause. Alors que certains d’entre eux ont tenté de pénétrer au sein des locaux, le service de sécurité est intervenu pour repousser les manifestants et les journalistes, pris dans la bousculade, qui tentaient de filmer l’incident.
De nombreux médias ont rapporté les faits en disant que le parti islamiste empêchait les journalistes de travailler. Je crois qu’il ne s’agit que d’un simple incident dû à un service de sécurité un peu trop zélé. Il n’y a pas eu à mon sens de directives émanant des responsables du parti pour museler la presse. On ne peut pas tirer de conclusion politique à partir de cet incident. En revanche, il est vrai que les journalistes n’ont pas accès aux débats. Tout se passe à huis clos. Il existe beaucoup de tensions et de divisions au sein du parti, si la presse n’est pas conviée, c’est pour que chacun puisse exprimer son point de vue sans pression et en toute liberté. En tant que journaliste, je travaille toutefois librement dans la mesure où je peux rencontrer sans difficulté conservateurs et libéraux à l’issue des débats. Ils nous rendent bien compte des tensions qui ont lieu au cours des discussions.
Le parti a certes des progrès à réaliser en terme de communication. Ennahda reste le parti de la clandestinité et des 30 000 prisonniers sous Ben Ali. La culture du secret est encore aujourd’hui ancrée dans les gènes du parti. Mais si ses dirigeants gardent une grande méfiance vis-à-vis des médias, ils opèrent actuellement une phase de reconversion. C’est la première fois que le parti se réunit officiellement, il faut lui laisser un peu de temps. Par ailleurs, les médias tunisiens sont globalement hostiles au parti Ennahda. Certains d’entres eux sont d’ailleurs plus militants que journalistes. Les relations entre les médias et le pouvoir sont loin d’être simples.