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Footballeuses voilées aux JO : "Accepter cette loi, c’est oublier le combat des pionnières!"

Une nouvelle règle autorise, depuis juillet, le port du voile pour les joueuses de football dans toutes les compétitions. Pour Annie Sugier, auteur de "Femmes voilées aux Jeux olympiques", ni le sport ni les femmes n’ont à y gagner.

Le hijab (voile islamique) gagne du terrain. Notamment sur les terrains de football. Le 5 juillet, l'International Football Association Board (Ifab), seul organe autorisé à modifier les règles du football, a autorisé le port du voile aux joueuses dans les compétitions de la Fédération internationale de Football (Fifa).

Jusqu'à présent, les autorités du ballon rond l’interdisaient en invoquant des risques de blessures au cou ou à la tête pour les joueuses. En 2011, l'interdiction du voile avait contraint l'équipe féminine d'Iran à se retirer des éliminatoires pour les Jeux olympiques et trois Jordaniennes à quitter leur sélection.

Le prince Ali de Jordanie, vice-président de la Fifa pour l'Asie et demi-frère du roi Abdallah II, se félicite de la décision de la Fifa. "Je pense que le hijab ne doit pas empêcher la participation des femmes musulmanes aux Jeux olympiques (...). Les Jeux seront une grande opportunité pour les femmes arabes et musulmanes de montrer leurs capacités", a-t-il déclaré en juillet à l'AFP.

Cette nouvelle suscite une vive polémique à moins de trois semaines du début des Jeux de Londres. De nombreux pays du Golfe ont exprimé leur satisfaction ainsi que l'ONU, qui y voit un progrès "permett[ant] de faire disparaître une barrière". De leurs côtés, les associations féministes dénoncent une régression de la condition des sportives. C'est notamment le cas d'Annie Sugier, présidente de la Ligue internationale des droits de la Femme et auteur du livre "Femmes voilées aux Jeux olympiques".

FRANCE 24  : Comment accueillez-vous cette nouvelle loi ?

Annie Sugier : J’estime qu’elle ne respecte pas du tout le principe de neutralité dans le sport, selon lequel les athlètes laissent leurs convictions politiques et religieuses aux vestiaires ! Cette mesure est contraire à la règle 4 de la Fifa et à l’article 50 de la Charte olympique, qui indique qu’ "aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique".

Il faut savoir que la Fifa avait jusqu’à présent résisté aux pressions du monde arabe. Je suis révoltée du fait que l'instance contourne les règlements en arguant que le voile est "un signe culturel et non religieux". Cela implique que les Jeux olympiques ne sont plus synonymes de trêve olympique.

F24 : Est-ce que cette décision peut servir la cause des femmes en se basant sur le principe que "mieux vaut une femme voilée que pas de femmes du tout" aux Jeux olympiques ?

A. S. : Je reste persuadée que ni le sport ni les femmes n’ont quelque chose à y gagner. On est en train de tuer le travail des pionnières musulmanes comme Nawal El-Moutawakel, première femme musulmane à avoir remporté une médaille d'or aux Jeux olympiques de Los Angeles [400 mètres haies, en 1984]. Je pense aussi à Hassiba Boulmerka, la première Algérienne qui a offert une médaille d'or olympique à son pays à Barcelone [1 500 mètres, en 1992]. Il faut savoir que beaucoup de jeunes athlètes qui leur ont succédé respectent le règlement du CIO [Comité international olympique] malgré les menaces des intégristes. Menacée de mort pour avoir couru en short, Hassiba Boulmerka avait dû partir s’entraîner à Cuba. Accepter cette loi, c’est oublier le combat de chacune d’entre elles…

F24 : Que pensez-vous de la position du CIO ?

A.S. : Le CIO a toujours été hypocrite sur ce sujet. Dès 1996, une athlète iranienne, porte-drapeau de son pays, arborait pour la première fois un voile dans un stade olympique. Le comité n’avait rien dit… Aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008, quatorze délégations comptaient des athlètes voilées dans leurs rangs.

Par le passé, le CIO a pourtant sanctionné le non-respect des principes de la Charte olympique : l’Afrique du Sud a été exclue pour cause d’apartheid racial. Lors des JO de Mexico en 1968, les athlètes noirs américains, Tommie Smith et Johan Carlos ont été exclus à vie pour avoir manifesté leur soutien au mouvement des Blacks Panthers. Enfin, le président du CIO Jacques Rogge s’est permis d’interdire aux athlètes français de porter un badge en signe de protestation contre les violations des droits de l'Homme en Chine sur lequel était inscrit un message pourtant extrait de la Charte du CIO.

Le problème c’est que le silence du CIO, qui est censé défendre l’universalité du sport, apparaît comme un soutien au monde de la ségrégation. Ces athlètes voilées ne sont que des esclaves à travers le symbole ! J’espère que certaines auront le courage de refuser de le porter prétextant que c’est contraire aux valeurs olympiques.

Le CIO a trahi le serment olympique ! C’est pourquoi une délégation du collectif "Londres 2012 : Justice pour les femmes" se rendra à Londres le 25 juillet pour enterrer symboliquement la Charte olympique.