![Les habitants d'Espinar défient le géant minier suisse Xstrata Les habitants d'Espinar défient le géant minier suisse Xstrata](/data/posts/2022/07/17/1658053561_Les-habitants-d-Espinar-defient-le-geant-minier-suisse-Xstrata.jpg)
Depuis dix jours, de violents affrontements opposent les forces de l'ordre aux habitants d'Espinar, une ville de la région de Cuzco, au Pérou. À l'origine de la colère de la population, une mine de cuivre, accusée de polluer l'eau des rivières.
Les paysans de la région d’Espinar, une petite bourgade nichée au cœur de la province andine de Cuzco, dans le sud du Pérou, sont tourmentés. Depuis plusieurs années, ils assistent, impuissants, à la lente agonie de leur bétail. Vaches, moutons et lamas tombent malades et meurent à tour de bras. Les avortements tardifs sont légion et beaucoup de petits, quand ils naissent à terme, sont morts ou gravement malformés. "Un de mes agneaux est né sans tête", témoigne ainsi Julio Magaño Umasi, un éleveur interrogé par une télévision locale. Il saisit délicatement le corps de l’animal, et le montre à la caméra. Le cou de l’agneau se termine par deux oreilles retombant l’une sur l’autre dans le vide, là où aurait dû se trouver sa tête. "Les animaux ne naissent pas malformés seulement chez moi, poursuit l’éleveur. Ma tante a un lama qui a trois doigts. Ma vache aussi a trois doigts. Ce n’est plus une coïncidence". Le coupable selon lui ? La mine de cuivre toute proche, exploitée par le groupe suisse Xstrata.
Bébés malformés
Pour Giovanni Rossinelli, le responsable des questions environnementales à la mine de Tintaya cité par le quotidien péruvien El Comercio, les malformations et les maladies constatées sur les animaux sont simplement dues à des pâturages trop pauvres et à la consanguinité. Pourtant, les responsables de la mine se sont montrés particulièrement empressés de récupérer le corps malformé de l’agneau, en proposant – en vain – à l’éleveur de l’échanger contre un taureau et de la nourriture. Et pour cause : de récentes analyses d’eau effectuées par des ONG sont accablantes pour la mine. Elles font état de concentrations élevées de plomb, de cuivre, d’arsenic et de cadmium (un produit utilisé pour l’extraction du cuivre) dans les rivières de la zone. "Les humains aussi sont malades, poursuit l’éleveur. Le cancer est de plus en plus répandu. Ma tante est morte du cancer. Quelqu’un lui a payé les traitements. Pourquoi tant de générosité ? Parce que les responsables de la mine savent ce qui provoque tout ça".
Partout autour de l’exploitation de Tintaya, on raconte les mêmes histoires : des troupeaux décimés, des animaux malades... On parle également de femmes qui accouchent de bébés malformés. L’inquiétude est prégnante. Mais depuis une dizaine de jours, elle a laissé place à la colère. Le 21 mai dernier, des manifestations ont éclaté dans la petite ville d’Espinar. Au fil des jours, la protestation s’est radicalisée. Les forces de l’ordre, dépêchées en masse sur place, se sont violemment heurtées aux populations locales. Aux jets de pierre, la police a répondu par des coups de feu. Neuf jours après le début du conflit, le bilan est lourd : au moins deux manifestants ont été tués et une cinquantaine de personnes ont été blessées, dont une trentaine de policiers. Lundi, le gouvernement d’Ollante Humala a décrété l’état d’urgence dans la région, restreignant la liberté de réunion et de circulation. Mercredi, selon une chaine de télévision péruvienne, le maire d’Espinar, en tête de la contestation, a été arrêté.
Les mines au centre des révoltes
Ce n’est pas la première fois que le Pérou est confronté à ce type de révolte. En 2005, Espinar a déjà connu un violent mouvement contre la pollution provoquée par l’exploitation de la mine de cuivre de Tintaya, alors en activité depuis huit ans. Plus récemment, en novembre 2011, la mine d’or de Conga dans le nord-est du pays – le plus grand investissement minier de l’histoire du Pérou - a connu un scénario très similaire : les paysans se sont révoltés contre ce projet, accusé de mettre en péril les ressources en eau de la région – 80 lacs se trouvent dans cette zone, où prennent source plusieurs rivières majeures du Pérou. Comme pour Tintaya, un bras de fer s’est engagé entre le gouvernement et les populations locales, l’état d’urgence a été décrété.
"Il n’y a rien de vraiment étonnant de voir les populations locales se révolter", estime Juliette Renaud, chargée de campagne sur les industries extractives pour l’ONG environnementale les Amis de la Terre. Selon elle, les exploitations minières ont des conséquences extrêmement vastes et néfastes sur les populations locales. "Ces mines provoquent inexorablement des pollutions, affirme-t-elle. De ces pollutions découlent des problèmes sanitaires, sociaux et économiques : les populations locales finissent par abandonner leurs activités traditionnelles d’élevage et de culture, détruites par les produits chimiques et l’utilisation excessive d’eau par l’industrie minière."
Un impact environnemental que réfute le groupe suisse Xstrata, exploitant de la mine de Tintaya. "Nos opérations sont conformes à toutes les exigences fixées par la loi. Cela a été démontré par la surveillance effectuée par divers organismes compétents", assure le groupe dans un communiqué laconique publié mardi. Une réponse qui ne satisfait pas l’environnementaliste. "Il est impossible de contrôler la pollution provoquée par ce type de mines", assure-t-elle. "Elles polluent l’air, du fait de l’explosion de pans entiers de montagnes, qui disséminent des particules et provoquent des pluies acides. Elles polluent également les sols et les nappes phréatiques par le ruissellement des eaux des bassins de décantation [gigantesques piscines où les roches sont séparées des minéraux grâce à des mélanges de produits chimiques, ndlr]", assure Juliette Renaud, avant de poursuivre : "Partout dans le monde, là où il existe des mines à ciel ouvert, on constate des atteintes environnementales et humaines majeures".
Au cours de l’année 2012, Xstrata va finaliser sa fusion avec Glencore, poids lourd du négoce des matières premières, à la réputation sulfureuse. À eux deux, ils vont constituer l’un des groupes les plus puissants dans le secteur des matières premières. "Un monstre pesant quelque 210 milliards de dollars, soit 40 % du PIB helvétique", note le site helvétique Le Courrier, avant de s’interroger : "Quel pays peut espérer conserver une marge de manœuvre politique – et donc démocratique – lorsqu’il héberge un tel acteur?"
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Xstrata traine, en la matière, une réputation sulfureuse. Le groupe, installé dans le très lucratif paradis fiscal de Zoug, en Suisse, a par exemple fini par avouer en 2003, au terme d’une longue polémique, être à l’origine d’une pollution majeure au chrome en Afrique du Sud. En Colombie, la firme est soupçonnée d’avoir effectué des expropriations forcées sur le site d’un projet d’exploitation. Sa filiale en Argentine a également fait l'objet de poursuites judiciaires pour violation des lois environnementales dans la mine de Bajo La Alumbrera, la plus grande du pays. "Le manque d'eau et la pollution de l'air, de l'eau et des sols ont provoqué [à La Alumbrera, ndlr] la mort de nombreux animaux d'élevage, la disparition de 70 % des exploitations agricoles dans le département de Santa Maria. De plus, ces différentes pollutions […] ont affecté la santé des populations locales : on observe la montée continue des cas de cancer et des maladies respiratoires", note l'ONG les Amis de la Terre dans un rapport publié en octobre 2010. La liste est longue. Xstrata est également au cœur de diverses actions en justice pour évasion fiscale, contrebande de minéraux, atteinte aux droits de l’Homme…
Ménager la chèvre et le chou
Pour autant, Xstrata fait partie des entreprises étrangères dont l’économie péruvienne peut difficilement se passer. Ce sont elles qui permettent l’exploitation des gisements de minerais au Pérou, un secteur clé pour le pays, en effectuant des investissements que les entreprises locales ne sont pas en mesure de faire. En résumé, sans ces firmes étrangères, pas d’exploitation minière dans le pays. "Les produits miniers représentent 60 % des exportations du Pérou. Le gouvernement sait combien les projets miniers sont fondamentaux pour l’économie", explique Cécile Lavrard-Meyer, maître de conférences associée à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine à Paris.
Le président Ollanta Humala tente ainsi de ménager la chèvre et le chou. Ceux qui l’ont porté au pouvoir il y a à peine un an, en juin 2011, sont ceux qui, aujourd’hui, contestent l’exploitation minière et affrontent les forces de l’ordre : les populations pauvres des Andes. À ce titre, les conflits, récurrents ces derniers mois autour des mines, sont un enjeu majeur à relever pour le gouvernement. "C'est l'épreuve du feu pour le gouvernement, qui doit prouver que soutenir la croissance - et donc les investissements miniers - peut servir les engagements sociaux qu’a pris Humala au moment de son élection", assure Cécile Lavrard-Meyer.
Car pour la chercheuse, au-delà de la question environnementale, les violentes contestations autour des mines trouvent leur origine dans un partage inéquitable des richesses. Les manifestants, en plus de leurs revendications écologiques, demandent d'ailleurs une augmentation des contributions volontaires que verse la mine aux collectivités locales. Elles s'élèvent aujourd'hui à 3 % de son chiffre d'affaire - soit 10 millions de dollars en 2011, selon des chiffres donnés par Xstrata -, les manifestants exigent désormais qu'elles soient de 30 %. "Le Pérou est un pays qui connaît une forte croissance économique mais où les inégalités restent très marquées, au détriment des populations andines, assure Cécile Lavrard-Meyer. Le cœur du problème est là".